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La Suisse doit revoir sa stratégie de restitution des fonds illicites bloqués

La Suisse doit revoir sa stratégie de restitution des fonds bloqués. [Keystone - Gabriele Putzu]
La Suisse se veut exemplaire pour restituer les biens mal acquis par des dictateurs, mais l'est moins dans les faits / La Matinale / 1 min. / le 27 janvier 2022
La Confédération devrait revoir sa stratégie de restitution des avoirs illicites bloqués en Suisse. Les bases légales actuelles sont trop floues. Les procédures manquent de cohérence et sont souvent trop longues, constate le Contrôle fédéral des finances.

Ces vingt dernières années, Berne a restitué près de deux milliards de francs provenant de fonds publics étrangers, concernant une dizaine d'affaires. Près d'un milliard pourrait être restitué dans les années à venir, indique le Contrôle fédéral des finances (CDF) dans un audit publié mercredi.

Après les Printemps arabes et les avoirs des anciens dictateurs Zine el-Abidi Ben Ali (Tunisie) et Hosni Moubarak (Egypte), d'autres affaires ont continué de défrayer la chronique, comme les scandales 1MDB en Malaisie, Petrobras au Brésil ou encore l'affaire Karimova en Ouzbékistan.

Problème, la loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite, entrée en vigueur en 2016, ne concerne que les cas exceptionnels d'un changement brusque de régime. "Loi de circonstance" élaborée dans le sillage des Printemps arabes, selon le CDF, elle n'a été que très peu appliquée depuis.

Attentes déçues

L'entraide judiciaire internationale et les procédures pénales en Suisse restent les principaux canaux d'investigation. Mais ceux-ci relèvent d'autres bases légales et surtout ne prévoient pas de conditions pour la remise des fonds, constate le CDF. Il n'existe donc pas de critères clairs expliquant pourquoi les restitutions suivent telle voie plutôt qu'une autre.

L'absence de critères clairs pour des restitutions avec ou sans conditions brouille l'action de la Confédération et sa cohérence, en Suisse comme à l'étranger, ajoute le Contrôle des finances. Du coup, malgré son activité reconnue en la matière, la Suisse peine à trouver des soutiens parmi les pays du Sud et les pays émergents.

Les affaires mêlant des personnes politiquement exposées (PPE), voire des anciens dirigeants, génèrent de fortes attentes dans les pays concernés, rappelle le CDF. Cependant, le décalage est grand, entre la durée des procédures judiciaires et les préoccupations politiques. Il faut compter entre 10 et 15 ans pour avoir une décision de confiscation ou de libération des fonds.

"La Confédération a souvent promis trop de résultats et trop rapidement. Cela génère de la frustration et un réel décalage par rapport aux intentions", lit-on dans l'audit. La Suisse affiche pourtant le principe de restituer les avoirs "aussi rapidement que possible".

>> L'éclairage du 12h45 :

La restitution de l'argent des potentats étrangers à leur pays d'origine est compliquée en Suisse
La restitution de l'argent des potentats étrangers à leur pays d'origine est compliquée en Suisse / 12h45 / 2 min. / le 27 janvier 2022

Pas de vue d'ensemble

Autre problème, il n'existe pas de vue d'ensemble des affaires concernant des potentats ni de ce qu'il advient des sommes bloquées, poursuit le Contrôle des finances. Seuls les cas pour lesquels des modalités de restitution sont définies font l'objet d'un suivi par le Département fédéral des affaires étrangères.

Les informations relatives aux affaires de restitution sans condition s'agissant de PPE sont "très disparates et incomplètes." Elles sont dispersées entre l'Office fédéral de la justice et les procureurs. Un monitoring annuel des fonds bloqués, avec le résultat des procédures et la destination des fonds confisqués, devrait être mis sur pied, estime le CDF.

Nouvelle stratégie à venir

Le Contrôle des finances recommande au Conseil fédéral de fixer désormais des critères clairs afin de savoir dans quels cas de figure les restitutions sont soumises à des conditions. Et qui décide de la voie à suivre.

Le gouvernement, dans sa réponse, annonce un projet pour une nouvelle stratégie, qu'il devrait présenter en 2022. Le Conseil des Etats s'est lui aussi saisi de la question, en déposant un postulat en 2019 sur le suivi des restitutions des avoirs illicites.

>> Les précisions du 12h30 sur ce qu'il advient de l'argent restitué :

L'ancien Président tunisien Ben Ali. [Reuters - Jamal Said]Reuters - Jamal Said
Qu’advient-il de l’argent des potentats étrangers, confisqués en Suisse, une fois rendu à leur Etat? / Le 12h30 / 2 min. / le 27 janvier 2022

ats/jfe

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