Après les Panama Papers, une nouvelle enquête d'un consortium international de médias s'attaque au monde de la finance. Baptisée "Suisse Secrets", elle met en cause Credit Suisse.
Les recherches, basées sur une fuite d'informations, ont été menées par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung en collaboration avec les chaînes de télévision NDR et WDR ainsi qu'avec plusieurs autres partenaires médiatiques internationaux, dont le journal britannique Guardian, le français Le Monde et l'américain New York Times. Ces médias ont analysé des données de Credit Suisse fournies par une source anonyme.
"Au mépris des règles de vigilance s’imposant aux grandes banques internationales, l’établissement a hébergé des fonds liés au crime et à la corruption plusieurs décennies durant", écrit Le Monde. "Celui de dizaines de dictateurs et d’hommes politiques corrompus, de grosses fortunes à l’origine illicite ou douteuse, d’individus et d’entreprises frappés par des sanctions internationales, voire de réseaux criminels ou mafieux."
Une valeur totale de 100 milliards de dollars
Les documents donnent des informations sur les comptes de plus de 30'000 clients venant du monde entier, selon le rapport. Les dossiers de 18'000 comptes d'une valeur de 100 milliards de dollars sont concernés.
Des criminels ont pu ouvrir des comptes ou les conserver alors que "la banque aurait pu savoir depuis longtemps qu'elle avait affaire à des criminels", selon l'enquête. De nombreux chefs d'Etat et de gouvernement, ministres et chefs des services secrets ainsi que des oligarques et des cardinaux auraient été clients de la banque.
Selon le conglomérat de journalistes, ces révélations dessinent une véritable mappemonde de la corruption internationale avec en toile de fond le secret bancaire suisse.
"Je pense que le secret bancaire suisse est immoral", a déclaré la source des données analysées. "Le prétexte de la protection de la sphère privée financière n'est qu'une feuille de vigne pour dissimuler le rôle honteux des banques suisses en tant que collaboratrices des fraudeurs fiscaux".
La banque dénonce "allégations" et "insinuations"
Credit Suisse a indiqué dans un communiqué fermement rejeter "les allégations et insinuations concernant les prétendues pratiques commerciales de la banque".
Les faits présentés sont essentiellement historiques, remontant dans certains cas aux années 1940, a encore indiqué la banque. Ils reposent sur "des informations partielles, inexactes ou sélectives sorties de leur contexte".
Pour des raisons juridiques, Credit Suisse ne peut pas s'exprimer sur des relations potentielles avec des clients. La banque affirme prendre l'affaire au sérieux et annonce son intention de poursuivre l'enquête avec une task force interne en faisant appel à des experts externes spécialisés.
Les détails de l'enquête et les noms de clients concernés vont être publiés progressivement par le groupe de médias, promettant de secouer la place financière suisse.
oang avec ats
Les médias suisses absents de l'enquête
Les données de Credit Suisse ont été évaluées en collaboration avec l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) ainsi que 46 partenaires médiatiques du monde entier, selon le journal allemand.
Les médias suisses comme Tamedia ont renoncé à participer à cette recherche, car depuis 2015, les journalistes risquent une procédure pénale s'ils écrivent sur des données bancaires divulguées, a tweeté le journal alémanique "TagesAnzeiger" dimanche soir.
Dans un éditorial, Ariane Drayer, rédactrice en chef de la rédaction de Tamedia souligne qu'on parle bien d'argent sale, issu du crime et s'insurge: "Dans notre pays, au XXIe siècle, lorsqu'un journaliste signale cet argent-là, il est lourdement punissable. C'est inadmissible."
"Le curseur est posé à un degré étrange, ajoute-t-elle: un oligarque qui a caché son argent en Suisse voit son anonymat juridiquement protégé. Selon la loi, le journaliste qui l'expose risque jusqu'à 3 ans de prison. Est-ce vraiment cela, la Suisse que nous voulons?"