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Quand l’apprentissage s’arrête après une demande d’asile déboutée

En Suisse, le Covid-19 a transformé l'offre et la demande dans les apprentissages. Ainsi, certains métiers n'ont plus la cote, alors que d'autres séduisent les jeunes. Les cantons mettent aussi des moyens financiers pour encourager les entreprises à engager des apprentis, malgré la crise. [KEYSTONE - ENNIO LEANZA]
Quand l’apprentissage s’arrête après une demande d’asile déboutée / La Matinale / 3 min. / le 3 mars 2022
En dépit d'un manque de main-d'oeuvre, des dizaines d'apprentis doivent soudainement arrêter leur formation après le refus de leur demande d'asile. Mercredi, le Conseil national a accepté de modifier cette pratique et les Etats doivent se prononcer la semaine prochaine.

La Matinale est allée à la rencontre de Yosef, 27 ans, jeune apprenti d'origine iranienne et directement concerné. Membre de la minorité kurde, il explique avoir été emprisonné et torturé dans son pays pour des motifs politiques. En 2018, il fuit vers la Suisse, où il apprend rapidement l'allemand.

Un an et demi après son arrivée en Suisse, Yosef postule comme apprenti monteur-électricien à Spiez (BE), avec pour objectif de devenir indépendant financièrement. "J'ai fait un premier test durant cinq jours et après j'ai pu signer un contrat. C'était vraiment un très bon moment pour moi".

"C'était", précise le jeune Iranien avec regrets, car après un premier refus de la Confédération, juste après avoir débuté sa formation, il a reçu un deuxième rejet il y a quelques jours. Conséquence: en tant que requérant débouté, et en dépit de très bonnes notes, il doit interrompre d'un seul coup sa formation.

"Je trouve effrayant que, d'une certaine manière, une année et demie de ma vie disparaisse. Maintenant je dois aller dans un centre pour requérants d'asile et je ne peux rien faire, je ne peux pas travailler. Je peux simplement toucher l'aide d'urgence, tout sera payé par le canton, même mon logement, alors que je voulais faire quelque chose pour ce pays. C'est clairement une mauvaise situation pour la Suisse, comme pour moi", regrette-t-il.

"C'est un non sens économique"

Son patron, Samuel Matzinger, propriétaire d'une PME qui compte une dizaine d'employés, ne comprend pas cette décision: "Tout d'abord, je le regrette pour lui, parce que c'est un si bon gaillard. Et pour notre entreprise aussi, c'est négatif de perdre un apprenti qu'on a formé pendant deux ans. Economiquement, c'est un non sens."

"Nous avons un problème en Suisse, nous n'avons plus de jeunes qui veulent se former aux métiers manuels et c'est donc une absurdité qu'on ne puisse pas employer de telles personnes", constate le chef d'entreprise.

Samuel Matzinger a écrit au Canton de Berne pour que son apprenti puisse finir sa formation. L'école professionnelle dans laquelle étudie Yosef aussi. Mais pour l'instant, aucune solution ne se dégage.

600 cas entre 2018 et 2020?

En Suisse, il n'existe pas de statistiques officielles à ce sujet. Dans le canton de Berne, un recensement mené dans les écoles professionnelles mentionnait 60 cas en 2019. Les organisations non gouvernementales de soutien aux migrants estiment qu'entre 2018 et 2020, il y a eu au moins 600 interruptions d'apprentissage en Suisse.

Dans certains cantons, notamment en Suisse romande, des autorisations au cas par cas sont souvent accordées. Dans d'autres, surtout dans les cantons alémaniques, l'application de la loi est stricte: lors d'une décision de renvoi définitif, l'apprentissage est arrêté en cours de route.

La balle est dans le camp des Etats

Au niveau politique, le Conseil national a désormais accepté deux motions qui demandent - dans les grandes lignes - qu'un requérant débouté puisse rester en Suisse le temps de terminer sa formation en toute légalité, comme en Autriche ou en Bavière.

Néanmoins, le Conseil fédéral s'y oppose. Ce changement irait à l'encontre de l'accélération des procédures d'asile. En outre, une prolongation de séjour est déjà possible lorsque la fin de la formation est proche.

Dans le cas de Yosef, le jeune apprenti monteur-électricien n'en est qu'à la moitié de ses quatre ans d'apprentissage. Ses professeurs assurent qu'il est l'un des meilleurs de sa volée.

Politiquement, la balle est dans le camp du Conseil des Etats. La chambre haute du Parlement avait refusé toute modification de la loi il y a un an. Il se prononcera à nouveau mercredi prochain.

Julien Bangerter/jfe

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