Il y a deux ans, le Covid faisait sa première victime en Suisse. Et la maladie a laissé des traces au-delà de l'aspect sanitaire. La pandémie a augmenté l’agressivité. Plusieurs secteurs le constatent : les commerces, les administrations ou les transports publics.
En anglais, le phénomène a un nom : la Covid-rage. Et c’est surtout derrière un écran, sur les réseaux sociaux, que cette colère se manifeste le plus.
Cachée derrière les arbres, au cœur du canton de Neuchâtel, se trouve la ferme de Stéphanie (nom d'emprunt). "N'étant pas vaccinée, on a été exclus de beaucoup de choses. Théâtres, spectacles, cinéma. C'est vrai que sur Twitter, je me lâchais. Par rage. J'avais envie de crier ma douleur".
Derrière un écran
Elle commente. Attaque. Bouscule. Sans écrire d'insultes, Stéphanie traite des internautes de "bouffon", "guignol". En lisant un article, elle a parfois une boule dans le ventre. "Il faut que ça sorte. Si j'avais gardé cette frustration pendant deux ans, je ne serais pas aussi souriante aujourd'hui".
Le Covid a interrompu net son activité professionnelle. Elle a commencé à beaucoup utiliser Twitter, avec un compte anonyme. "L'anonymat est important. Cela évite les tensions avec les amis et ma famille n'en souffre pas".
Bloquer les insultes
Samia Hurst, elle, a été dans le viseur d’internautes. "Il y avait des moments d'angoisse qui n'étaient pas rationnels. Ces internautes, je n'allais jamais les croiser". Professeure d’éthique biomédicale, membre de la Task Force scientifique, elle a dû se résoudre à restreindre l’accès de son compte à certaines personnes.
"J'avais commencé avec une politique où je ne bloquais personne. Les gens ont le droit d'exprimer leur colère. Au fil du temps, il y a eu quelques comptes anonymes qui sont devenus des harceleurs. Des remarques humiliantes. Un comportement toxique. Des collègues m'ont dit que je n'avais pas à subir ça".
Samia Hurst a porté plainte une seule fois. Pour un courriel avec une menace sérieuse. L’année dernière, la police fédérale a enregistré plus de 1’200 signalements pour violence et menace à l’encontre de parlementaires et les fonctionnaires fédéraux, la plupart via les réseaux sociaux.
Appels à la police
Une hausse des tensions aussi perçue par le personnel de l'aéroport de Genève. Avec la crise, les exigences pour voyager ont augmenté. Mais aussi les coups de colère.
"Il faut un formulaire pour aller aux Etats-Unis. Quand je l'ai demandé à un passager, il est monté dans l'agressivité verbale. C’étaient des insultes, mêlées à des propos racistes", raconte Youssef, agent d'escale. À la fin de l'histoire, la police a dû intervenir.
Ces cas se sont multipliés. "On était à un ou deux appels à la police par semaine, et on est passé depuis l'été dernier à un appel par jour", explique Julien Fournier, responsable des opérations à Swissport Genève.
Il a fallu intervenir: formation à la désescalade, patrouilles de police supplémentaires et même une campagne d'autocollants. Swissport cherche aujourd'hui à mettre en place une cellule psychologique pour accompagner le personnel en cas de traumatisme.
Des mesures qui semblent avoir porté leurs fruits, car Swissport constate une baisse des agressions. La levée de certaines mesures sanitaires a certainement aidé. Samia Hurst remarque aussi moins d’attaques sur son compte Twitter. Mais la raison est tout autre : les internautes se concentrent désormais sur la guerre en Ukraine.
Anouk Pernet, Coraline Pauchard