Entre 2016 et 2019 le foyer genevois Saint-Vincent a connu une période chaotique émaillée de nombreuses crises. L’institut héberge des enfants de 5 à 11 ans qui ne peuvent pas être pris en charge par une autorité parentale et qui sont placés par le service de la protection des mineurs (SPMI) au sein de l’établissement.
Intervention policière
Bryan a vécu au foyer Saint-Vincent de sept à onze ans. Aujourd’hui adolescent, il décrit les scènes brutales dont il a été témoin durant plusieurs années.
"Nous vivions dans une atmosphère violente. Les enfants se rebellaient contre les éducateurs, qui n’arrivaient pas à les maîtriser. Certains criaient ou tapaient sur les adultes, d’autres essayaient de s'enfuir. Une fois je me suis bagarré avec un autre pensionnaire. Les éducateurs sont restés là sans rien faire, à attendre que ça se termine", confie-t-il au 19h30.
La situation est tellement chaotique que la police et l'ambulance sont appelées pour intervenir à plusieurs reprises. Parfois, juste pour pouvoir mettre les résidents au lit. "Une nuit, un groupe d’enfants s’est mis en colère et a décidé de s’enfuir du périmètre. La police a dû intervenir pour les ramener au foyer. Maintenant que j’ai grandi, je vois à quel point cette situation est anormale", détaille l’adolescent.
>> Lire aussi : Foyer de Mancy: rapport accablant, Anne Emery-Torracinta épargnée
Dysfonctionnements
Situations de crise répétées, enfants qui font la loi… La RTS est entrée en contact avec quatre anciens employés du foyer. Tous décrivent un lieu hors de contrôle et des éducateurs se sentant abandonnés par leurs supérieurs, n’arrivant plus à donner de limites aux enfants.
Selon un ancien employé, les choses ont commencé à empirer lors d’un changement de direction, effectué en 2014.
"Progressivement, la situation est devenue très tendue, il y avait un climat de défiance entre les collaborateurs. On passait plus de temps à régler les dissensions entre collègues ou avec la direction qu’à chercher des solutions pour les enfants. D’une certaine façon, la violence que l’on vivait en tant qu’employé a déteint sur les pensionnaires", relate-t-il.
D’autres collaborateurs soulignent le manque de formations adaptées aux situations difficiles. "On a commencé à accueillir des enfants qui avaient des handicaps physiques ou des pathologies psychologiques. Nous n’avions aucun cadre, ni les compétences nécessaires pour prendre en charge ce genre de cas", explique un autre ex-employé. Les deux anciens salariés corroborent l’intervention de la police ou des services d’ambulance lors de différents débordements.
Violences répétées
Parmi les pensionnaires, un enfant se montre particulièrement violent. "Il a agressé des enfants et le personnel, les a menacés avec un couteau à pain. Une fois, il s'est retrouvé seul avec une éducatrice, l'a attrapée par le badge qu'elle avait autour du cou et a failli l'étrangler. Il a aussi passé à tabac une autre collaboratrice", poursuit-il.
D’autres faits sont rapportés. "Une éducatrice s'est faite ficelée sur une chaise par les enfants, qui lui ont balancé le contenu du frigo dessus. Elle s’est pris des pots en verre dans la figure, des restes alimentaires… Ça a duré un petit moment, jusqu’à ce que quelqu’un entende ce remue-ménage et intervienne".
Face à ces situations extrêmes, de nombreux employés sont placés en arrêt maladie ou démissionnent.
>> Lire également : Après Mancy, d'autres cas de négligences dans des centres d'accueil révélés
Faits reconnus
Le foyer de Saint-Vincent est géré par l'Agapé, une association qui bénéficie d'un contrat de prestation avec le Département de l'instruction publique genevois (DIP). Directrice du foyer au moment des faits entre 2014 et 2019, Annemarie Ganty reconnaît ces cas de violence.
"Je le regrette beaucoup, je regrette la souffrance causée tant aux enfants qu'aux adultes. Les situations des enfants sont de plus en plus complexes, avec des cas de polytraumatismes, des situations sociales extrêmement violentes. Il faudrait former les collaborateurs à être plus dans les soins", développe-t-elle.
Annemarie Ganty assure que la situation s'est aujourd'hui apaisée à Saint-Vincent, après un changement de direction qui s'est opéré en 2020. Mais ces foyers sont-ils suffisamment surveillés par l'Etat? Interpellée sur ces dysfonctionnements, la conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta, en charge du DIP, n'était pas disponible pour répondre à nos questions.
Après le scandale de Mancy et les cas de maltraitances révélés par la RTS au sein de l’institution Clair-Bois, le foyer Saint-Vincent vient encore assombrir la mauvaise image de certaines structures genevoises en charge de personnes vulnérables.
Sujet TV : Julie Conti
Adaptation web : Sarah Jelassi