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Malgré un lectorat record, la crise ukrainienne fait souffrir les médias

Ladina Heimgartner. [Blick]
La guerre plombe les perspectives du groupe Blick / Médialogues / 22 min. / le 15 mars 2022
La crise en Ukraine a renforcé l'envolée des coûts des matières premières nécessaires à l'impression des journaux. Et comme les revenus publicitaires restent bas malgré une audience au beau fixe, les médias souffrent, a confié dans Médialogues la patronne de Blick.

La fin de cet hiver ressemble à un remake des débuts de la pandémie voici deux ans: la très forte demande d’information du public se heurte à la frilosité des annonceurs depuis le début de la guerre en Ukraine. Et la hausse du prix du papier et des agrafes complique encore la donne pour les médias, à l’image du groupe Blick, propriété de l’éditeur Ringier. Depuis juin 2021, l'éditeur alémanique est aussi actif en Suisse romande avec la version en français de son site internet (lire encadré).

"C'est positif d'avoir une audience énorme, mais c'est un peu tout ce qu'on peut relever du côté des bonnes nouvelles", a relevé Ladina Heimgartner, la CEO du groupe Blick, mardi dans l'émission Médialogues de RTS-La 1ère. Du côté des mauvaises, elle relève que les médias sont souvent en première ligne lors des crises, car c'est d'abord du côté du marketing que les premières économies sont faites, ce qui ponctionne les revenus publicitaires des groupes de presse.

S'y ajoute le phénomène de "brain safety": pendant les guerres, les entreprises rechignent à se voir mises en avant à proximité immédiate de pages saturées de mauvaises nouvelles. "En ce moment, une grande partie de l'audience est créée par les sujets en relation avec la guerre. Pas tous les annonceurs acceptent de voir leurs publicités dans cet environnement", confirme la patronne de Blick.

Une grande partie de l'audience est créée par les sujets en relation avec la guerre. Or, tous les annonceurs n'acceptent pas de voir leurs publicités dans cet environnement

Ladina Heimgartner, CEO du groupe Blick

Prix doublé en six mois

Imprimer les quelque 100'000 exemplaires du Blick distribués chaque jour nécessite une grande quantité de papier. Or, son coût explose depuis plusieurs mois. "Dans les budgets, on a déjà une augmentation énorme par rapport à l'année précédente. Et depuis le début de la guerre en Ukraine, c'est presque le double d'il y a six mois", détaille Ladina Heimgartner.

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Et ce n'est pas tout: "Il y a un deuxième problème qui émerge, c'est celui de l'acier, avec lequel on fait les agrafes pour le SonntagsBlick!" Complication supplémentaire, l'approvisionnement vient notamment de l'Ukraine. "On voit qu'un peu partout, les coûts explosent", résume-t-elle. Même revus à la hausse, les budgets planifiés ne suffisent pas. Une nouvelle hausse du prix du journal n'est cependant pas encore sur la table, rassure la patronne du Blick. "Mais peut-être qu'on n'aura pas le choix. Ca dépend aussi de la durée de la guerre".

Une crise de longue durée pourrait-elle aller jusqu'à menacer tout bonnement la version papier des quotidiens suisses? "Les médias sont un peu différents des autres produits. Si on a une entreprise de boissons et que l'une d'elles se vend mal, on l'enlève", compare-t-elle. Mais pour les journaux, "il y a beaucoup de lecteurs et lectrices, parfois plutôt âgés, qui aiment encore le papier. Là, on ne peut pas dire du jour au lendemain 'fini' parce que ça ne vaut plus le coup de l'imprimer".

Il y a beaucoup de lecteurs, parfois plutôt âgés, qui aiment encore le papier. On ne peut pas dire du jour au lendemain 'fini'

Ladina Heimgartner

Le refus de l'aide aux médias fait mal

Ces coups de massue successifs arrivent dans un contexte où le peuple suisse vient de refuser le paquet d'aide aux médias, une aide décrite à l'époque par Ladina Heimgartner comme une solution transitoire indispensable à la survie. Dès lors, celle du groupe Blick est-elle menacée? "Non, concède-t-elle, mais on a toujours dit que cette loi concernait en premier lieu les petits et moyens journaux. Imaginez-vous les problèmes qu'on a avec Blick" sur de plus petites structures. "C'est pour ça qu'on avait lancé cette loi", défend-elle.

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Acceptée en Suisse romande (sauf en Valais), c'est la Suisse alémanique qui a fait pencher la balance du côté du non. "On n'a pas très bien communiqué. Comme industrie, on ne présentait pas un front compact. Certains éditeurs ont d'ailleurs combattu la loi [notamment la Weltwoche et certains journaux gratuits]. C'était un peu la confusion totale pour les votants", concède la CEO du groupe Blick.

On n'a pas très bien communiqué sur l'aide aux médias. On ne présentait pas un front compact

Ladina Heimgartner

Heureusement, tous les indicateurs ne sont pas au rouge. Ainsi, en particulier dans le domaine du sport, certains annonceurs commencent à se détourner des réseaux sociaux comme Facebook pour revenir vers les médias traditionnels. "Sur ces nouveaux canaux, il est encore beaucoup plus difficile de contrôler la 'brain safety', car il y a beaucoup de propagande", analyse Ladina Heimgartner. Tandis que l'environnement est considéré comme plus fiable au sein des médias classiques.

Propos recueillis par Antoine Droux
Adaptation web: Vincent Cherpillod

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Blick.ch n'est pas encore rentable

Lancé en juin 2021, le site internet en français de blick.ch n'est pas encore rentable, a concédé la patronne du groupe Ladina Heimgartner. "Après 9 mois, ça n'était pas prévu et ça aurait été un petit miracle. Mais nous sommes bien en route".

En termes d'audience, le résultat de cette version romande, qui emploie une vingtaine de personnes à Lausanne, est "tous les mois" au-dessus des objectifs, "qui étaient très ambitieux", avance-t-elle.

Selon elle, la petite antenne lausannoise a déjà inspiré la maison mère, notamment en matière d'images et de design du site internet.