"On a beau être de gentils gars, lorsqu’on débarque à quinze avec des motos qui font du bruit, des blousons de cuir, ça peut en impressionner certains."
Ce matin-là, ils sont une quinzaine de motards à rouler des mécaniques devant un collège vaudois. Il s’agit de venir en aide à Giulia et Mélanie, deux adolescentes de 15 ans, victimes de harcèlement.
C'est Alexandra, la maman d’une des filles harcelées, qui a fait appel à eux: "Cela fait quatre ans que je me bats, avec la direction, avec les parents, et rien ne change. De voir ma fille rentrer de l’école en pleurs chaque jour, c’est insupportable. Cette solution peut faire son effet."
Depuis plusieurs années, Giulia vit un enfer en classe. "C’est beaucoup des insultes, j’ai aussi eu des coups dans le ventre et des claques, on me tire les cheveux. Je pleure beaucoup à cause de ça et j’ai aussi une très mauvaise estime de moi-même", livre l'adolescente dans le magazine 15 Minutes de la RTS.
Blouson en cuir et lunette noire
"En général, quand on arrive, ceux qui ont quelque chose à se reprocher nous regardent de loin et ne sont pas très rassurés." Ces motards, costauds, barbus et tatoués usent de leur look de gros durs pour intimider les camarades. Une méthode peu conventionnelle, mais qui, selon les Templiers, porte ses fruits.
"On ne menace personne, on ne fait pas de gestuelle, nous ne sommes pas des justiciers, mais c'est l’effet de groupe qui fonctionne. En général, le harcèlement stoppe dès le lendemain", explique Pierre-Olivier Christen, le président et fondateur de l’association.
L’association créée en 2021 affirme être de plus en plus en souvent sollicitée. Une quinzaine d'appels de parents ont été comptabilisés en une semaine.
En Suisse, un élève sur dix serait victime de harcèlement. Les établissements scolaires disposent pour la plupart d’outils pour enrayer le phénomène. Des médiateurs, psychologues scolaires, sont mobilisés et les enseignants suivent des formations.
Je me sens plus rassurée, je sais que je peux compter sur quelqu’un
La médiation, solution privilégiée
A Monthey, le directeur du cycle d’orientation, Nicolas Rey-Bellet, a également vu débarquer les bikers devant son collège l’automne dernier. "C’est important que les parents comprennent que nous avons des outils pour régler ces problèmes. C’est vrai que la médiation prend du temps bien souvent, mais c’est par le dialogue qu’on peut résoudre les choses", indique-t-il.
L’établissement dispose de trois médiateurs pour les élèves. Bernard Mariéthoz est l'un d'entre eux: "Le plus difficile est de faire parler l’élève harcelé, car bien souvent il aura tendance à se renfermer et il ira de plus en plus mal. Mais il faut également tenir compte du harceleur et tenter de lui faire prendre conscience qu’il peut exister différemment au sein d’un groupe sans avoir à jouer les caïds."
Dialogue ou intimidation
Une semaine après l’intervention des bikers, la RTS a retrouvé Giulia et Mélanie à la fin des cours. "Ça n’a pas changé grand-chose au niveau de mes camarades" explique Giulia. "Mais moi, je me sens plus rassurée, je sais que je peux compter sur quelqu’un. On a deux parrains qui nous ont été attribués et qu’on peut appeler même pour discuter. Alors cette fois, je sais que je ne vais pas vivre ça toute seule."
Sa camarade Mélanie se sent elle aussi protégée désormais. Elle porte fièrement le pull avec le logo des Templiers offert par les bikers. "J’ai l’impression de faire partie de la famille et ça me fait du bien, ils me comprennent et je sais que je peux compter sur eux."
Une démarche qui fait débat
Papa de trois garçons maintenant grands, et sensibilisé à la thématique du harcèlement dans l'entourage de ses enfants, le motard Philippe Clément, membre des Templiers, précise la démarche lors d'un débat de Forum. Certes, l'arrivée des motards, qui "embarquent" la victime en moto, cela "fait un impact", reconnaît-il. "Mais ce n'est pas ça qu'on cherche: notre priorité à nous, c'est la victime, qui manque de confiance en elle et n'a pas la force de s'opposer à ses harceleurs. On lui apporte cette force par l'effet de groupe, notre travail c'est de lui rendre la confiance en elle et la joie de vivre."
S'il salue les valeurs qui sont à la base de l'initiative des motards, Johan Epiney, directeur d’écoles primaires de plusieurs villages valaisans, trouve que sur la forme, l'intervention de ce groupe de motards n'est pas appropriée dans le périmètre scolaire. "On est dans une cour d'école primaire, avec des enfants de 4 à 12 ans, confrontés à l'arrivée de 15 à 20 motards. C'est une situation inhabituelle et probablement anxiogène pour les enfants, et cela a engendré de nombreuses réactions de parents", relève-t-il.
Les médiateurs scolaires, infirmières scolaires régionales et autres enseignantes ressources pour le vivre-ensemble sont en mesure d'apporter des réponses aux situations de harcèlement, estime ce directeur d'école.
Pour Tina Stahel, chargée d’enseignement à la HEP Valais, la démarche des Templiers a le mérite de mettre en lumière la complexité de la situation de harcèlement. "Face à des groupes d'élèves, il faut travailler en équipe, et ne pas exclure les intervenants externes", préconise-t-elle, Et si l'on peut voir dans l'intervention des bikers une forme d'intimidation, la spécialiste souligne que ce n'est "clairement pas" là un outil de travail. "L'objectif est de rendre acteurs les élèves, les aider à développer des compétences pour les aider à gérer eux-mêmes ces situations-là", indique-t-elle.
Katia Bitsch et Coraline Pauchard