Les différences de traitement entre les réfugiés ukrainiens et les autres interrogent
Mahdi Ziayi a dû apprendre à aimer un métier auquel il ne pensait pas être destiné. En troisième année d’apprentissage de polymécanicien, ce jeune Afghan a fui les bombardements dans son pays pour trouver refuge en Suisse. Si aujourd’hui il a accès à la formation et au marché du travail, ça n’a pas toujours été simple: son statut provisoire a découragé certains employeurs.
"J’ai fait 9-10 stages dans 4 ou 5 métiers différents, comme fromager par exemple. J’ai fait un stage de 4 mois à la crèche comme éducateur petit enfance, c’était mon rêve de pouvoir faire ça comme métier. Mais après, c’est assez compliqué de trouver une place", confie-t-il au 19h30 de la RTS.
J'aimerais que tout le monde soit traité de la même manière.
L’arrivée de réfugiés ukrainiens lui rappelle de mauvais souvenirs et le renvoie à son propre combat, lui qui a quitté son pays à 16 ans, sans ses parents.
"Ils ont les trains, les transports publics gratuits; moi, quand je suis arrivé, j’ai dû payer mon voyage jusqu’ici moi-même", relève-t-il. Ils ont l’aide sociale, un permis de séjour et l’accès au monde du travail, ce qui n’était pas le cas chez moi. J’aimerais bien que tout le monde soit traité de la même manière", fait-il valoir.
Pour les détenteurs d’un permis F comme Mahdi, le rassemblement familial n’est autorisé qu’après trois ans, et les voyages en dehors de la Suisse sont quasi impossibles. Un statut trop précaire pour une personne qui a fui la guerre, selon l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR).
Nous espérons que l’accueil des réfugiés ukrainiens crée de la compréhension pour d’autres groupes de réfugiés.
"On a maintenant une inégalité de traitement évidente entre différents groupes de réfugiés", souligne Éliane Engeler, porte-parole de l'OSAR. "Comme la population civile est impliquée dans cet accueil, dans cette intégration, ça devient plus concret que dans les situations où ils sont logés quelque part, isolés. Nous espérons que l’accueil des réfugiés ukrainiens crée de la compréhension pour d’autres groupes de réfugiés", souhaite-t-elle.
Le 12 mars, le Conseil fédéral a débloqué le statut de protection S pour les Ukrainiens. Ce statut a été conçu en 1998 après la guerre en ex-Yougoslavie pour une situation similaire à celle que l’on vit aujourd’hui, avec un afflux exceptionnel dans sa masse et sa rapidité.
Le permis S, "un outil efficace"
"Ce statut mérite d’être appliqué justement à ces situations où il y a tout à coup beaucoup de personnes qui arrivent en même temps, et où l'on n'a pas le temps de faire des procédures individuelles", estime Sarah Progin-Theuerkauf, professeure de droit des migrations à l'Université de Fribourg. "C'est un instrument efficace qui permet de protéger des personnes qui fuient un danger grave, réel", fait-elle valoir.
Cette situation sans précédent devrait induire une remise en question de la part du Secrétariat d’État aux migrations (SEM). "Il est encore trop tôt pour tirer un bilan, mais lorsque cette grande vague sera passée, on examinera effectivement les expériences qui ont été réalisées sur le statut S", confirme la porte-parole du SEM Anne Césard. L'analyse qui a été faite par le Conseil fédéral en 2016 sur l’admission provisoire et le statut S sera également examinée, indique la porte-parole.
Cette guerre inattendue pourrait donc bien redessiner le modèle de l’asile en Suisse, c’est du moins ce qu’espère Mahdi.
Clémence Vonlanthen/kkub