"J’ai 69 ans et je n’ai jamais voté, parce qu’ils font ce qu’ils veulent de toute façon". Dans les rues de Rennaz (VD), peu de monde en ce jour pluvieux. Mais à l’image de cet homme, la plupart des personnes rencontrées n’ont pas voté lors des dernières élections cantonales vaudoises. "Je vote pour des objets, mais pas pour des gens", explique une femme. Dans ce village proche de Villeneuve, la participation était la plus basse du canton au premier tour: 21% (34,28% sur l’ensemble du canton).
Dans la maison communale, Muriel Ferrara, la syndique, s’interroge sur ce résultat: "est-ce que les gens sont moins intéressés pour des élections ?" Autre piste évoquée: l’absence de parti dans la commune, pas forcément très politisée.
De son côté, cette élue vote tout le temps. Et léger soulagement pour elle: sa commune n'était plus le cancre au second tour. La participation y a légèrement grimpé, à 27,86% (37,59% sur l’ensemble du canton).
Une minorité qui ne vote jamais
Dans les faits, beaucoup de citoyens sont des votants irréguliers: certaine fois ils participent, d’autres non. Mais il y a aussi un socle d’abstentionnistes, qui ne votent jamais. Le politologue Pascal Sciarini, de l'Université de Genève, l'estime en Suisse à environ 10%.
Des gens qui ne participent plus à aucun scrutin, Muriel Ferrara en connaît. Son beau-frère Hervé, qui habite une commune voisine, en fait partie: "Mon vote n’a aucune influence sur les votations importantes", explique-t-il. "Je ne suis plus du tout motivé à voter depuis plusieurs dizaines d'années". Il déplore une scission entre les votes romands et alémaniques. Une partie de la population est à ses yeux minorisée.
Sa compagne, Céline, est une votante irrégulière: "clairement, je n’ai pas voté sur les dernières élections". Ce qui n’exclut pas des discussions politiques en famille: ne pas voter n'empêche pas d’avoir un avis, souligne Muriel Ferrara.
Toucher les jeunes
Parmi les abstentionnistes, les jeunes sont souvent les plus représentés. A Genève, canton qui élira ses représentants au printemps 2023, les étudiants rencontrés devant l’université confirment cette tendance: beaucoup sont des votants irréguliers.
"Ca m’est arrivé de voter, mais ça fait longtemps que je n’ai plus rempli un bulletin", explique Stan, rencontré dans le parc voisin d’Uni Mail. "Je n’aime pas voter sur des objets que je ne connais pas. Parfois, il y a des choses qui ne me concernent pas". Mais il admet que parfois, c’est simplement par oubli qu’il ne participe pas.
A ses côtés, deux autres étudiants d'une vingtaine d'années, qui n’ont pour l'instant jamais voté. "On n'est pas très fiers de nous", précise Franceso. Maxime évoque aussi le rôle de l'entourage, notamment familial: "on ne me pousse pas à voter".
La solution internet ?
L’ancienne députée verte Paloma Tschudi a elle "toujours été très votante", bien incitée par sa famille, plutôt politisée. Elue au Grand Conseil genevois en 2018, à moins de 30 ans, elle l’a quitté deux ans plus tard. Elle ne regrette pas cette période, mais admet que c'était "un peu une désillusion".
"Mes rêves de militante ont été un peu gâchés par la présence de tant de personnes qui étaient là plus par prestige que par militantisme". Selon elle, cela peut contribuer à décourager certains jeunes de voter. Tout comme la lenteur inhérente à la politique: "La jeunesse demande aujourd'hui que ça aille plus vite". Avec sa casquette d’enseignante, elle essaie de faire en sorte que les jeunes "développent la culture de la politique et du vote".
Pour Francesco, une solution peut venir de l’accessibilité du vote: "faire un vote électronique, qui prend moins de temps, pourrait rendre les choses plus évidentes". Stan abonde dans le même sens: "voter depuis son téléphone, probablement que je le ferais, si c’est plus rapide". L’intégration dans la vie active le poussera peut-être à s’intéresser davantage. Mais, à ses yeux, le changement doit surtout venir de lui: "le principal truc, c’est qu’il faut que je me réveille!"
Katia Bitsch, Guillaume Rey