Les enjeux de la votation sur le consentement présumé en matière de don d'organes en cinq questions
Quelle est la situation actuelle?
A l’heure actuelle, en matière de don d'organes, c’est le principe du consentement explicite au sens large qui est en vigueur en Suisse. L’absence de consentement n’est considérée ni comme un refus ni comme un consentement, mais comme une non-déclaration. C’est pourquoi les proches sont consultés. Dans la plupart des cas, ceux-ci refusent tout prélèvement s’ils ne connaissent pas la volonté présumée du défunt.
Ce modèle n’a pas permis de trouver suffisamment de donneurs. En 2021, 166 personnes décédées ont accepté de donner leurs organes. Cela a permis à 462 patients de bénéficier d'une greffe. Or, à la fin de l'année, plus de 1400 personnes étaient toujours en attente d'un ou plusieurs organes. Ce chiffre est relativement stable depuis plusieurs années, après avoir considérablement augmenté au début des années 2010.
Face à cette pénurie, de jeunes entrepreneurs vaudois ont décidé en 2017 de lancer une initiative pour introduire le consentement présumé. Le Parlement a imaginé un contre-projet indirect qui règle aussi la question des proches, laissée de côté par l'initiative. C’est sur ce projet que le peuple est appelé à se prononcer le 15 mai. Satisfaits de cette solution, les initiants ont en effet accepté de retirer leur texte, à condition que la réforme soit acceptée.
Que propose le projet?
L’idée est d’introduire dans la loi sur la transplantation d'organes, de tissus et de cellules le principe du consentement présumé. Concrètement, cela veut dire que toute personne est considérée comme donneuse potentielle. Si elle ne souhaite pas faire don de ses organes à son décès, elle doit donc le faire savoir de son vivant.
Pour accompagner ce changement de modèle, le Parlement a prévu la création d’un nouveau registre fédéral. Chacun pourra y consigner sa volonté, qu’il accepte ou refuse le don de ses organes à son décès. Il sera également possible d’enregistrer un accord ou un refus partiel, pour certains organes spécifiques. Les informations pourront être modifiées en tout temps.
Pour le reste, les conditions médicales pour faire un don restent les mêmes.
Quel sera le rôle des proches?
Le Parlement n'a pas souhaité que les proches soient totalement exclus de la procédure du don d'organes. Sont considérés comme tels les époux et concubins, les enfants, les parents, les frères et soeurs, les grands-parents ou les autres personnes étroitement liées à la personne en fin de vie.
Si aucun document n’atteste de la volonté de la personne décédée, les proches continueront d’être consultés. Ils conserveront la possibilité de s’opposer à un prélèvement si cela correspond à “la volonté présumée” du défunt, c’est-à-dire s’ils savent ou supposent que le défunt s’y serait opposé.
Autre précaution posée par le législateur pour éviter qu'on ne prélève les organes d'une personne qui ne le souhaitait pas: si la personne décédée n’a pas exprimé sa volonté et si aucun proche n’est joignable, alors tout prélèvement est strictement interdit.
Qui est contre et pourquoi?
Le référendum a été lancé par Susanne Clauss, une sage-femme biennoise, et Alex Frei, un médecin de Winterthour. Le comité référendaire compte aussi dans ses rangs des théologiens et des juristes. Au niveau politique, le référendum est soutenu par l’UDC, le Parti évangélique, l’UDF ainsi qu’une partie des élus du Centre.
Leur principal argument est d'ordre éthique: on ne peut pas considérer qu'une personne qui n'a rien dit a consenti à donner ses organes. Avant toute intervention médicale, il est absolument nécessaire que le patient donne son accord de manière explicite. Il en va de même pour le prélèvement d'un organe après le décès, avancent les opposants au consentement présumé.
Autre argument: l’impossibilité d’informer correctement l’ensemble de la population. Les personnes socialement précarisées ou celles qui ne maîtrisent pas bien les langues nationales, par exemple, ne comprendront pas toutes les modalités du prélèvement d’organes, estiment les référendaires. Cela conduira inévitablement, selon eux, à ce que certaines personnes se voient prélever des organes contre leur gré.
Troisième argument: le changement de modèle conduirait à une pression accrue sur les proches. Avec le consentement présumé, un refus de la part de la famille du défunt serait immédiatement interprété comme un comportement non solidaire, relèvent les opposants. Et d'ajouter, enfin, que le consentement présumé bafoue le droit à l'intégrité physique, garanti par la Constitution.
Qui est pour et pourquoi?
Largement approuvé par le Parlement, le consentement présumé est soutenu par la plupart des grands partis: le PS, les Verts et les Vert’libéraux, Le Centre et le PLR. Une minorité des élus UDC y est aussi favorable. Plusieurs associations et organisations militent également en faveur de la révision de la loi sur la transplantation. On peut notamment citer l’Organisation suisse des patients ou encore la FMH, la Fédération des médecins.
Leur principal argument est que la réforme va sauver des vies car les patients qui ont besoin d’une transplantation vont attendre moins longtemps. Ils rappellent d’ailleurs qu'une à deux personnes en attente d’un organe décède chaque semaine. Pour eux, il existe un potentiel à exploiter car la majorité de la population serait favorable au don de ses organes. C’est ce qui ressort de la dernière enquête suisse sur la santé, réalisée en 2017.
Par ailleurs, les questions d’ordre éthique sont respectées, jugent les défenseurs du consentement présumé. Le don restera un acte volontaire car chacun pourra librement refuser de donner ses organes. A l’inverse des référendaires, les partisans de la nouvelle procédure affirment en outre que celle-ci facilitera la décision des proches et les soulagera d’un poids supplémentaire au moment du deuil, une période particulièrement éprouvante.
Enfin, dernier argument, le consentement présumé est la norme dans la quasi-totalité des pays d’Europe, relève le camp du oui. Les seules exceptions dans l’Union européenne sont l’Allemagne, le Danemark, l'Irlande, la Lituanie et la Roumanie. De plus, ce modèle a fait ses preuves: la plupart des pays qui connaissent le consentement présumé ont des taux de donneurs plus élevés que la Suisse.
Didier Kottelat
Le don d'organes en quelques chiffres
Après une baisse en 2020, le nombre de personnes décédées qui ont donné leurs organes est remonté l'an dernier, dépassant même son niveau d'avant la pandémie. Au total, 484 organes prélevés sur des donneurs décédés ont été transplantés, ce qui a permis à 462 personnes de bénéficier d'une ou plusieurs greffes. A cela s'ajoutent les 125 organes prélevés sur des donneurs vivants.
Au total, 587 personnes ont été rayées de la liste d'attente en 2021 à la suite d'une transplantation. Dans le même temps, 72 patients sont décédés alors qu'ils attendaient un organe, tandis que 73 autres personnes ont été radiées pour un autre motif (départ de la Suisse, renoncement à la transplantation ou maladie sous-jacente à un stade avancé, par exemple).
Suivant l'organe, le temps d'attente varie de plusieurs mois à plusieurs années. Les personnes qui ont besoin d'un poumon sont celles qui doivent patienter le moins longtemps, avec un temps d'attente médian de 123 jours. La situation est particulièrement critique pour celles et ceux qui attendent une greffe de rein, avec un temps d'attente médian de près de trois ans.
A noter qu'il est encore extrêmement rare qu'un don ait lieu à la suite d'un consentement documenté, par exemple grâce à une carte de donneur ou des directives anticipées. L'an dernier, cela ne concernait que 7,6% des cas. Dans la très grande majorité des cas, le consentement a été donné par la famille du défunt. Une fois sur deux, c'est le conjoint ou le partenaire qui a consenti au don.