Chaque année quelque 90'000 demandeurs d'emploi sont sanctionnés par l'assurance-chômage pour des manquements, réels ou supposés, à leurs devoirs. Retard dans les recherches d'emploi, nombre de recherches insuffisant ou oubli d'un rendez-vous avec un conseiller à l'emploi, autant de faits entraînant la suppression d'indemnités journalières. Certains manquements dits graves sont sanctionnés par trois mois sans revenu. Le refus d'un travail admissible, par exemple, représente une faute grave, même si l'emploi assigné se trouve à deux heures du domicile. Il est possible de faire opposition dans les 30 jours.
Du côté des associations d'aide aux chômeurs, on s'émeut. "L'assurance-chômage ne tient pas compte du minimum vital au moment de sanctionner", indique la fondatrice de l'association genevoise Le Trialogue, Doris Gorgé. Les demandeurs d'emploi sanctionnés et donc provisoirement sans revenus n'ont souvent pas accès aux prestations de l'assistance sociale ou ne les sollicitent pas, de peur de perdre leur permis de séjour.
Volonté du législateur
"Le législateur a voulu qu'une certaine pression soit exercée à travers la sanction, pour que le demandeur d'emploi prenne ses devoirs au sérieux", explique de son côté à Berne le Chef de la section travail au Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco), Boris Zürcher, en charge pour la Confédération de la surveillance des Offices cantonaux de l'emploi. "Les pénalités ciblées permettent un retour rapide et durable sur le marché de l'emploi", selon lui.
Le législateur a voulu qu’une certaine pression soit exercée à travers la sanction
Mais la pression s'exerce aussi sur les Offices régionaux de placement (ORP). "Le Seco a mis en place un certain nombre d'indicateurs qui nous comparent et donc ça crée - ce qu'on va dire entre guillemets - une saine compétition", reconnaît de son côté la cheffe du Service de l'emploi du canton de Neuchâtel, Valérie Gianoli. "La loi déploie une logique d'assureur, donc la logique d'assureur c'est de réduire le dommage. Et donc dans cette logique-là le législateur a prévu que le demandeur d'emploi qui ne répond pas à ses obligations fait l'objet d'une sanction", poursuit-elle.
Le Seco publie chaque année un classement des Office cantonaux de l'emploi. Le classement distingue les cantons principalement en fonction de la réinsertion rapide du chômeur sur le marché du travail. Un rapport commandité en 2007 par le Seco concluait déjà: "D'une manière générale, tant la fréquence que l'ampleur des sanctions ont eu des effets nettement positifs", comme le révèle le reportage de Temps Présent.
Effet pervers
Le lien direct entre les pénalités et un retour rapide à l'emploi s'explique facilement selon le professeur d'économie à l'Université de Lausanne Rafael Lalive, auteur d'une étude sur la question: "La sanction vous laisse sans ressources, donc vous allez accepter la première proposition d'emploi venue."
Rafael Lalive a étudié la biographie d'une cohorte d'anciens chômeurs ayant repris un emploi sous l'effet d'une sanction. "Ces personnes restent durablement dans des emplois moins bien payés, leur parcours de vie s'en trouve durablement endommagé", relève-t-il. Son étude datant de 2012 portait sur une période de 42 mois après un épisode de chômage.
Plus un demandeur d'emploi reste longtemps à l'assurance-chômage, plus l'attractivité de son profil diminue
"Nous préférons que les demandeurs d'emploi remettent rapidement le pied à l'étrier, quitte à que ce soit dans un emploi légèrement moins bien payé", estime pour sa part Valérie Gianoli. "Plus un demandeur d'emploi reste longtemps à l'assurance-chômage plus l'attractivité de son profil diminue."
Quant au Seco, il ne garde pas trace du devenir professionnel des personnes passées par l'assurance-chômage.
Raphaël Engel