Les enjeux de la votation sur Frontex, l'agence européenne de contrôle des frontières
C’est quoi, Frontex?
Entré en vigueur en 1995, l’espace Schengen regroupe plus de 400 millions d’habitants dans 26 Etats membres ou associés: la quasi-totalité des pays de l’Union européenne (hormis l’Irlande, la Bulgarie, Chypre, la Croatie et la Roumanie), quatre Etats associés - la Suisse, l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège. Depuis le Brexit, le territoire de Gibraltar en fait également partie. De facto, plusieurs micro-Etats européens comme Saint-Marin, le Vatican ou Monaco sont aussi intégrés.
En tant qu’espace européen de libre circulation des personnes, l’espace Schengen implique l’abandon des contrôles systématiques aux frontières intérieures. En revanche, les frontières extérieures sont systématiquement contrôlées. C’est là qu’intervient l’Agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes, plus communément appelée Frontex. Cette organisation, créée en 2004, est chargée d’aider les Etats à effectuer ces contrôles. La Suisse y participe depuis plus de dix ans.
Sur quoi on vote exactement?
Le 15 mai 2022, les Suissesses et les Suisses se prononceront sur la participation de la Suisse à l'élargissement de Frontex. Ce développement a été décidé par l’Union européenne à la suite de la crise migratoire de 2015, qui a mis en évidence le manque de ressources et de personnel de l’agence. D’ici 2027, l’idée est de doter Frontex d’un contingent de 10’000 gardes-frontières, 3000 employés directs et 7000 agents détachés par les Etats membres, mobilisés en cas de besoin.
La Suisse est elle aussi concernée par cet élargissement. Le nombre de gardes-frontières mis à disposition par la Confédération pourrait passer de six postes à plein temps actuellement à 40 postes au maximum. Selon les estimations, la contribution annuelle de la Suisse à Frontex passerait progressivement de 24 millions de francs en 2021 à 61 millions de francs en 2027, ce qui représente environ 4,5% du budget total de l’agence européenne.
Qui est contre et pourquoi?
Le référendum contre la reprise du règlement de l’UE relatif à Frontex a été lancé par Migrant Solidarity Network, appuyé par des dizaines d’organisations de défense des droits des migrants. Elles ont reçu le soutien du Parti socialiste, des Verts, des jeunesses de ces deux formations ainsi que d’autres partis de gauche. L’UDC Suisse soutient officiellement le projet, mais une minorité des délégués et plusieurs sections cantonales, comme celles de Genève et du Valais romand, prônent le non.
Pour les référendaires, Frontex est complice des violations des droits humains dont sont victimes les personnes migrantes. Ils affirment que l’agence participe à des refoulements ("pushbacks") illégaux le long de la route des Balkans. En Méditerranée, Frontex aurait aussi été présente lorsque des gardes-côtes nationaux ont détruit des moteurs de bateaux et abandonné en mer des personnes en quête de refuge. Selon eux, en finançant l’agence, la Suisse se rend coresponsable de ces pratiques.
Plus généralement, le comité référendaire dénonce une "militarisation des frontières" et une "guerre contre les migrants". A ses yeux, Frontex est le symbole d’une Europe forteresse qui voit la migration "comme un danger" et qui dépense des milliards pour se barricader. Cette politique a des conséquences macabres:"“depuis 1993, la politique d’isolement de l’UE par rapport au monde extérieur a coûté la vie à plus de 44’000 personnes", avance-t-il, citant un décompte de l’organisation United for Intercultural Action.
Le comité référendaire critique aussi les accords migratoires signés par l’UE avec la Libye et la Turquie. Ceux-ci externalisent la gestion des réfugiés et bloquent les personnes migrantes dans des pays tiers où leur sécurité n’est pas garantie. Le comité référendaire plaide plutôt pour un changement de paradigme, convaincu que "la migration n’est pas une menace mais un fait". Il demande donc la mise en place de voies migratoires et prône la liberté de mouvement et la solidarité mondiale.
Qui est pour et pourquoi?
Le développement de Frontex est soutenu par le Conseil fédéral, la majorité du Parlement ainsi les partis du centre et de droite: les Vert’libéraux, le Parti évangélique, Le Centre, le PLR et la majorité de l’UDC. Les cantons ainsi que l’Union des villes suisses militent également en faveur du texte. Les milieux économiques et patronaux, le syndicat Travail.Suisse et le Mouvement européen suisse viennent aussi garnir le camp du oui.
Pour le Conseil fédéral, l’augmentation des moyens alloués à Frontex, en améliorant la protection des frontières extérieures de l’espace Schengen, est un investissement pour la sécurité de nos propres frontières. Le projet permettrait également de répondre aux critiques concernant le respect des droits fondamentaux des personnes migrantes grâce au renforcement des effectifs d’observateurs au sein de l’agence.
Un non dans les urnes expose la Suisse à un durcissement de ses relations, déjà tendues, avec l’UE. Le risque majeur, selon le Conseil fédéral, est l’exclusion de l’espace Schengen. Cette éventualité, relativisée par les opposants à Frontex, aurait de graves conséquences pour la sécurité du pays car nous n’aurions plus accès aux systèmes de recherche et d’informations de Schengen, des outils devenus essentiels pour la lutte contre la criminalité, le terrorisme et le marché noir.
Une exclusion de Schengen signifierait par ailleurs le retour des contrôles aux frontières, note le gouvernement. Non seulement la liberté de déplacement des Suisses dans l’UE serait limitée, mais le tourisme suisse en paierait le prix. Actuellement, les touristes du monde entier qui viennent en Europe peuvent bénéficier d’un même visa pour la quasi-totalité du continent. La crainte, c’est que les visiteurs fassent l’impasse sur notre pays s’ils doivent demander un visa séparé.
Didier Kottelat