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En colère contre la Suisse, la Russie promet une "réponse appropriée"

Les 5 jours qui ont changé la neutralité suisse
Les cinq jours qui ont changé la neutralité suisse / Rester ou fuir l'Ukraine, le dilemme des hommes / Temps présent / 55 min. / le 5 mai 2022
Dans une lettre envoyée à l'émission Temps Présent de la RTS, l’ambassadeur russe en Suisse Sergueï Garmonine a considéré comme "profondément regrettable" la décision du Conseil fédéral de s'aligner sur les sanctions européennes à la suite de l'invasion de l'Ukraine. Il estime "pleinement justifiée" l'inclusion de la Suisse dans la liste des pays inamicaux et annonce une "réponse appropriée".

Sollicité par Temps Présent, l’ambassadeur de Russie en Suisse, Sergueï Garmonine, use de mots forts dans sa réponse écrite datée du 8 avril dernier, que l’émission a diffusée jeudi soir dans son reportage sur les cinq jours qui ont fait basculer la neutralité suisse au tout début de la guerre en Ukraine.

Pour rappel, après cinq jours d’hésitation, entre le 24 et le 28 février dernier, le Conseil fédéral a fini par décider de reprendre les sanctions de l’Union européenne contre la Russie. Répondant au souhait de Bruxelles et de Washington, elle a choisi son camp, quitte à provoquer l’ire de Moscou.

L'ambassadeur de Russie en Suisse, Sergueï Garmonine. [Keystone - Urs Flueeler]
L'ambassadeur de Russie en Suisse, Sergueï Garmonine. [Keystone - Urs Flueeler]

Dans son courrier, Sergueï Garmonine souligne que seul le Conseil de sécurité de l’ONU est autorisé à prendre de telles sanctions. Cet avis a son importance au moment où la Suisse rêve de décrocher un siège non permanent au Conseil de sécurité pour un mandat de deux ans.

Le diplomate russe évoque également la position du ténor de l’UDC, Christoph Blocher, qui a estimé dans les colonnes de l’influente Neue Zürcher Zeitung (NZZ) qu’en adoptant les sanctions, "la Suisse est désormais partie prenante dans la guerre". Sur le plan politique interne, à une année des élections fédérales, l’UDC appréciera, elle qui a trouvé avec le thème de la neutralité un fromage à grignoter: ses délégués ont récemment voté à la quasi-unanimité une résolution en faveur d’une "neutralité armée perpétuelle de la Suisse".

L’ambassadeur russe a aussi insisté, dans sa lettre envoyée à la rédaction de Temps Présent, que son pays considère de manière positive les propositions de médiation de pays ayant refusé d’adopter des sanctions. Allusion à peine voilée à la Suisse – et à la Genève internationale – désormais handicapée pour héberger toute réunion d’arbitrage du conflit russo-ukrainien.

Dans le même temps, la Turquie et la Hongrie se profilent comme arbitres du conflit. La Genève internationale devra-t-elle faire une croix sur les grands sommets comme la rencontre de juin 2021 entre les présidents américain Joe Biden et russe Vladimir Poutine? Le siège de l’ONU à Genève est-il affaibli alors qu’il est dirigé depuis trois ans par une Russe, la diplomate Tatiana Valovaya? Sergueï Garmonine estime en tout cas "pleinement justifiée" l'inclusion de la Suisse dans la liste des pays inamicaux et annonce une "réponse appropriée" sans donner de détails.

Sensible volet économique

La position de la Suisse sur l’affaire des sanctions comporte aussi plusieurs volets économiques. Alors que moins de 8 milliards de francs d’avoirs russes sont gelés, le total des fonds liés à la Russie et gérés en Suisse pourraient se situer entre 150 et 200 milliards de francs, selon Marcel Rohner, président de Swissbanking, l’Association suisse des banquiers.

Malgré cet enjeu pour la place financière helvétique, les banques ont choisi leur camp en bloquant la plupart des transactions avec la Russie. Le secteur financier a en mémoire l’affaire des fonds juifs et la fin du secret bancaire dans sa dimension internationale. Dans les deux cas, les Etats-Unis ont donné le ton: impossible de leur résister lorsqu’une banque suisse veut faire des affaires à l’international, dans la zone dollar.

Dans ce contexte, les relations commerciales avec les Américains, comme avec les Européens, ont davantage pesé dans la décision d’écorner la neutralité. Les Etats-Unis représentent aussi de loin le premier client des entreprises suisses (68,8 milliards de francs en 2020, par rapport à un total d’exportations de 299 milliards) et l’Allemagne le premier fournisseur des firmes helvétiques (53,2 pour un total d’importations de 273 milliards de francs).

Un impact pour l'horlogerie

A titre de comparaison, les importations de Russie se sont élevées en 2020 à 1,2 milliard de francs, similaires à celles venant de Suède ou du Mexique. Quant aux exportations, elles ont atteint – toujours en 2020 – 2,8 milliards de francs. Sur ce montant, la livraison de montres pèse environ 10%, la Russie ayant été en 2021 le 17e marché des fabricants helvétiques.

Selon la Fédération horlogère, les exportations de montres suisses à destination de la Russie se sont logiquement écroulées en mars: -95,6%, par rapport à mars 2021, atteignant moins de 1 million de francs. La saisie le 22 mars en Russie, pour une valeur de plusieurs millions de francs, de montres de luxe du fabricant Audemars Piguet, risque de tarir définitivement ce flux commercial.

Mais le lien le plus sensible entre la Suisse et la Russie, c’est la dépendance au gaz (lire encadré). Cette matière première touche de nombreux foyers en Suisse et n’épargne pas les quelque 30'000 personnes résidant en Suisse qui possèdent un passeport russe, dont près de la moitié de binationaux. Et ceux-ci sont nombreux, ces jours, à raser les murs et à éviter de parler russe dans les lieux publics.

Roland Rossier

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Gaz et pétrole: la Suisse, prise en étau entre les Etats-Unis et la Russie

Comme la plupart des pays européens, la Suisse dépend en partie des livraisons de gaz russe même si elle ne l’achète pas directement. C’était en 2020 son plus gros fournisseur (43% du total), surtout pour la partie alémanique du pays. Gaznat estime de son côté que l’origine du gaz naturel consommé en Suisse romande provenait, elle, à raison de 31,5% de Russie, 39,3% de Norvège et 12,8 % des Pays-Bas. Le solde provient notamment d’Algérie, du Qatar ou des Etats-Unis.

Le 27 avril, c’est un véritable coup de semonce qu’a adressé le géant russe Gazprom en stoppant la livraison de gaz à la Pologne et à la Bulgarie. Les capitales européennes s’affolent, cherchant à s’approvisionner ailleurs.

Les Etats-Unis rient sous cape: l’Europe et la Suisse pourront-elles longtemps bouder son gaz, plus cher et plus polluant à extraire? La vente de gaz à la Suisse suivra-t-elle celle de pétrole? Il y a près de 20 ans, pratiquement pas une goutte d’or noir made in America n'était consommée en Suisse alors que près du tiers du pétrole brut importé provenait du Kazakhstan, pays sous influence russe, ou de Russie.

En 2020, les cartes ont été redistribuées, les Etats-Unis étant devenus le second plus important fournisseur de la Suisse, derrière le Nigeria. Quant au pétrole vendu par les Kazakhs ou les Russes, il pèse désormais moins de 6% du total.