Avec une hausse globale des prix de 2,4%, l'inflation reste mesurée en Suisse en comparaison internationale. Aux Etats-Unis, elle a explosé à plus de 8%, alors que dans les pays européens, elle oscille entre 5% et 10%.
La cause principale de l'inflation en Suisse est la hausse des prix de l'énergie. L'essence a par exemple augmenté de 25% depuis le début du conflit en Ukraine.
Pour ceux qui calculaient déjà leur budget avant l'inflation, cette hausse des prix s'annonce difficile. A 72 ans, René Teuscher sait qu'il devra faire encore des sacrifices. Cet ancien directeur hôtelier, qui a travaillé à Shanghai, Hong Kong ou encore en Nouvelle-Zélande, vit avec un budget serré. Une fois son loyer payé, il lui reste 25 francs par jour. Cette hausse des prix l'inquiète:
Le prix de certaines denrées a ainsi pris l'ascenseur, en particulier ceux qui contiennent du blé. comme les pâtes avec une augmentation de 10,5% ces trois derniers mois, ou de 2,4% pour le pain et les viennoiseries depuis le début de l'année. En un an, fruits secs et oléagineux coûtent 2% plus cher et la bière 1,9%. Les prix de la viande et des huiles pourraient également augmenter dans un futur proche.
Les matériaux d'emballage comme le carton, le papier et le plastique sont également devenus plus chers et enflamment les étiquettes.
"Une année avec beaucoup de défis"
Pour la Fédération romande des consommateurs (FRC), "ce n'est que le début".
Le son de cloche est similaire pour Stefan Meierhans, alias Monsieur Prix, pour qui la situation est favorable actuellement en Suisse - la force du franc ayant absorbé partiellement certains de ces chocs, notamment pour les prix à l'importation -, mais "reste inquiétante", en particulier pour les personnes à bas revenu. "C'est une année avec beaucoup de défis sur le plan financier et sur l'évolution des prix", estime-t-il dans La Matinale.
Dans la situation actuelle, Stefan Meierhans considère qu'il faut rester "vigilant" et veiller à ce que les choses se passent d'une manière correcte et fair-play, en particulier de la part du secteur de la vente. "Il ne faut pas qu'on utilise ce moment pour augmenter des prix quand cela n'est pas justifié. On est dans le brouillard et je n'aime pas ça. Il faut plus de transparence pour éviter ces hausses", alerte le surveillant des prix, précisant que l'administration fédérale observe l'évolution du marché et enquête actuellement dans le secteur de l'alimentation et de l'énergie fossile.
Une task force créée
La guerre en Ukraine et ses conséquences sur les prix de l'énergie mobilise aussi le monde politique. A Berne, le Conseil fédéral et les parlementaires réfléchissent à des mesures pour soulager le budget des ménages. Une task force a été créée par la Confédération, réunissant des experts des départements de l'économie, des finances et de l'énergie. Elle a pour mission d'élaborer des recommandations concrètes, en analysant leur financement et leurs conséquences.
Parmi les pistes envisagées par Berne, plusieurs s'attaquent au prix des carburants. La droite propose par exemple de limiter, voire supprimer, les taxes sur certaines huiles minérales pour réduire la facture à la pompe.
Autre approche: des chèques "énergies" pour le chauffage ou l'essence. Ces allocations pourraient s'adresser aux revenus les plus faibles, aux locataires, à certaines PME, ou encore aux régions les moins desservies par les transports publics.
La gauche milite surtout pour investir massivement dans la rénovation des bâtiments, les énergies renouvelables ou les transports publics. L'Union syndicale suisse souhaite, pour sa part, utiliser l'entier de la manne financière de la taxe sur le CO2, dont deux tiers sont actuellement redistribués à la population et aux entreprises.
Jérémie Favre
Changement des habitudes de consommation d'essence
Parmi les augmentations les plus symboliques de ces derniers mois figure évidemment celle du prix de l'essence. A la pompe, le litre dépasse aisément la barre des 2 francs en Suisse. Cette évolution pèse directement sur le budget des ménages, qui n'hésitent pas à changer leurs habitudes de consommation.
"Pour la première semaine de mars, on constate une diminution des dépenses totales effectuées par les Suisses pour l'essence, de l'ordre de 10% à 15%. Cela est un peu surprenant, parce que les prix n'ont pas cessé d'augmenter. Cette diminution peut signifier que les automobilistes achètent leur carburant à l'étranger, en France ou en Italie, ou qu'ils roulent moins et prennent plus le train", explique à la RTS le professeur en économie à l'Université de Lausanne, Raphaël Lalive.
Ce constat se retrouve dans plusieurs cantons frontaliers, où les distributeurs sont sous forte pression, après la décision du gouvernement italien de prolonger jusqu'au 8 juillet une réduction d'environ 30 centimes des taxes par litre de carburant en vigueur depuis un mois pour contrer les effets de la guerre en Ukraine. Cela se traduit par une désertion des stations-service situées du côté suisse, auxquelles venaient traditionnellement s'approvisionner les travailleurs frontaliers.
La Regione parle d'un "virage à 180 degrés" au vu des files de voitures tessinoises attendant pour faire le plein en Italie. Sur un plein de 50 litres, l'économie réalisée avoisine les 10 euros. En France, une "remise à la pompe" de 15 à 18 centimes par litre est entrée en vigueur le 1er avril pour une durée de quatre mois.
Des disparités régionales face à la hausse du prix du gaz
Le prix du gaz naturel est en forte hausse en raison de la guerre en Ukraine et de la dépendance énergétique avec la Russie. Les factures d'énergie des ménages helvétiques ont pris l'ascenseur. Il existe cependant de fortes disparités en fonction des cantons, voire même des communes.
Dans le canton de Vaud par exemple, un habitant d'Yverdon-les-Bains devrait voir sa facture de gaz augmenter en moyenne de 85 francs par mois. A Lausanne, la hausse devrait être d'une dizaine de francs par mois. C'est le canton du Jura qui est le plus affecté de Suisse avec une augmentation depuis plusieurs mois allant jusqu'à 100%.
Des réserves
Ces différences s'expliquent en grande partie par les tarifs appliqués par les distributeurs. Avec la hausse annoncée, certains fournisseurs, qui se situaient dans la moyenne inférieure des prix, sont subitement passés dans la moyenne supérieure.
Autre explication: des services industriels, comme ceux de Lausanne et Genève, étaient déjà fortement approvisionnés pour cette année. Ces réserves leur ont permis d'ajuster les prix.
Des aides indirectes
A Delémont (JU), le Conseil communal a décidé de prélever 150'000 francs dans un fonds de réserve dédié à la fluctuation des prix du gaz, permettant ainsi d'absorber la hausse annoncée et ainsi alléger temporairement la facture des ménages.
Dans les autres cantons romands, aucune aide directe n'est prévue pour l'heure. Ils pourraient toutefois envisager des soutiens financiers pour les entreprises, comme cela a été fait dans le cadre de la crise sanitaire...mais la première décision revient à la Confédération, où des discussions sont en cours.