Dans les rayons de Migros, tout alcool est actuellement banni. Est-ce que cela doit changer? Les quelque 2,3 millions de sociétaires le diront; il faudra une majorité des deux tiers dans chaque coopérative. Ainsi, il sera peut-être possible de trouver une offre d'alcool à Genève et non en Argovie, selon la volonté des votantes et des votants.
Si, au niveau national, Migros ne prend pas position et vante son modèle démocratique, cette question ne laisse pas indifférent. Selon un sondage Tamedia publié la dernière semaine d'avril, 58% de la population de Suisse serait clairement ou plutôt contre, et 38% pour. La part d'indécision s'élève à 4%.
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Un havre de paix
Certaines personnes militant pour le non estiment qu'il faut respecter la vision et les valeurs de Gottlieb Duttweiler, l'homme qui a fondé la Migros il y a une centaine d'années. Pour les milieux de la prévention de l'alcoolisme, ces magasins sont le dernier refuge contre la tentation.
Fabrice Villard fait partie de ces personnes dépendantes à l'alcool qui n'aiment pas devoir emprunter les allées achalandées en bouteilles. Abstinent depuis plus de trois mois, à 45 ans, il essaie d'éviter les étals d'alcool: "Voir une bouteille déclenche des signaux 'attention' chez moi".
"La Migros est un îlot de protection. Je m'y sens mieux qu'ailleurs: il n'y a aucune lutte à faire, aucun rayon à éviter et c'est ça la force de ce magasin". Selon lui, Gottlieb Duttweiler se retournerait dans sa tombe: "L'alcool tuait il y a cent ans, il tue aujourd'hui encore".
Mettre fin à une "hypocrisie"
Désormais à la retraite, Claude Hauser connaît bien le géant orange pour y avoir œuvré près de quarante ans. Ancien directeur de Migros-Genève, il a également été durant dix ans président du conseil d'administration de la Fédération des coopératives Migros. Pour lui, "ne pas vendre du vin ne fait pas partie des valeurs fondamentales de la Migros".
Il estime que proposer de l'alcool ne trahirait pas la pensée de Gottlieb Duttweiler: "Je ne vois pas pourquoi aujourd'hui Migros devrait se priver de vendre de l'alcool alors que tous ses concurrents le font. C'est de la modernité, en 2022, de revoir le cahier des charges historique".
A ses yeux, cela n'est pas une question économique, mais de commodité pour les consommateurs et consommatrices de tout trouver sur place: "Migros a racheté Denner, qui vend du vin. C'est une hypocrisie de dire 'Le groupe Migros vend du vin, mais on ne le fait pas juste dans la surface qui porte le M orange'," souligne-t-il.
Que du suisse?
Le monde du vin s'est retrouvé à Moudon au salon BioVino, les 7 et 8 mai. Le directeur de Swiss Wine Promotion, Nicolas Joss, salue la réflexion de Migros: "Autant mettre en place des projets et accompagner les gens, plutôt que de rester sur certaines habitudes du passé".
Il souhaiterait que Migros ne vende que de la production suisse, ce qui aurait un vrai intérêt commercial pour la branche: "On doit se battre. Si on ouvre plus la porte, ce sera au détriment des vins suisses et on ne peut pas l'accepter".
Au niveau national, l'entreprise explique que rien n'est décidé quant aux produits alcoolisés qui seraient proposés le cas échéant. Si les sociétaires acquiescent – les résultats devraient être communiqués autour de mi-juin – l'alcool n'arrivera de toute façon pas avant 2023 dans les étals.
Katia Bitsch et Stéphanie Jaquet