Avec sa révision de la loi sur le renseignement, en vigueur depuis 2017, le Conseil fédéral veut permettre au Service de renseignement de la Confédération (SRC) de prendre des mesures invasives pour mieux surveiller des activités particulièrement menaçantes relevant de l’extrémisme violent, qu’il soit de droite ou de gauche. Actuellement, ces outils ne peuvent être utilisés que face à la menace terroriste ou des cas d’espionnage.
Selon le gouvernement, les réactions violentes des extrémistes se sont amplifiées. Interrogée dans Forum, Viola Amherd, la conseillère fédérale en charge du dossier, prend l’exemple de la fusillade de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. "Là, on a vu que l’extrémisme violent augmente", dit la ministre. "La Suisse doit aussi être prête à contredire ces personnes qui violent le droit et qui attaquent le fondement de l’État de droit."
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Comment définir l’extrémisme? "Il s’agit de la violence", répond la Valaisanne. "Ce sont les gens qui sont prêts à tuer d’autres personnes et à attaquer l’État de droit qui seront concernées."
Christian Dussey, directeur du SRC, précise dans le 12h30 qu'il faudra "avoir des indices concrets que ceux-ci vont participer, soutenir ou approuver des actions violentes" pour que des individus puissent être touchés par ces mesures.
Mesures de recherche élargies
Le Conseil fédéral propose donc d'élargir l'utilisation des mesures de recherche soumises à autorisation afin de déceler des menaces graves, pouvant porter atteinte à la vie et à l’intégrité corporelle. Cela concerne par exemple le cas où des extrémistes violents s’arment et s’entraînent tout en s’isolant plus fortement du monde extérieur ou s'ils commentent de plus en plus les attaques extrémistes violentes ou terroristes qui ont déjà eu lieu.
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Parmi les outils qui pourraient être utilisés figurent par exemple la sonorisation de logements ou de véhicules, des filatures ou encore des infiltrations informatiques.
Les personnes suspectes pourront également être surveillées plus longtemps, les délais de recherche passant de trois à six mois. Selon Viola Amherd, cette mesure est rendue nécessaire pour des raisons "d’efficacité", car actuellement la surveillance doit souvent être prolongée, ce qui demande la réouverture d’une procédure administrative "lourde".
Vérification des transactions financières
Un autre point de la réforme concerne la possibilité de vérifier des transactions financières pouvant servir notamment à financer le terrorisme ou des réseaux d'espionnage. Actuellement, le SRC ne peut pas obtenir d'information par des intermédiaires financiers. La réforme doit lui permettre de collecter des données auprès de ceux-ci.
Le SRC pourra, en cas de graves menaces, demander des précisions sur les flux financiers. La mesure pourra toucher des entreprises commerciales, des organisations idéologiques ou des institutions religieuses sur lesquelles pèsent des soupçons fondés de participation au financement d'activités terroristes, d'espionnage ou relevant de l'extrémisme violent.
Cela permet aussi de savoir quels immeubles ont été acquis ou sont entretenus par des personnes identifiées comme extrémistes violents, quels biens ces personnes acquièrent et quelles personnes et organisations les soutiennent financièrement ou sont soutenues par elles.
Toutes ces mesures supplémentaires seront soumises à des conditions strictes. Le tribunal administratif fédéral devra donner son aval. Tout comme la cheffe du Département fédéral de la défense. Celle-ci devra consulter au préalable les chefs des Départements fédéraux de justice et police et des affaires étrangères.
Ouverture de la consultation
Pour prendre la mesure de la réception politique de cette révision, le 19h30 a récolté les avis de deux conseillers nationaux. "Cette notion d’extrémisme violent doit clairement être définie", exige Baptiste Hurni (PS/NE). "Il doit y avoir des règles extrêmement claires et l'activité du Service de renseignement doit être extrêmement bien encadrée. Qu’est-ce qu’on veut éviter? Une nouvelle affaire des fiches."
De son côté, Christian Lüscher (PLR/GE) félicite l’exécutif: "On reproche parfois à la Suisse d’être un peu naïve, de vivre dans un monde au-dessus des nuages. Là, on voit que le Conseil fédéral veut faire quelque chose. Il est conscient de l’extrémisme et veut lutter contre."
La consultation sur la révision de la loi est ouverte jusqu'au 9 septembre. Les critiques viendront très probablement de la gauche. Viola Amherd s’attend même à un référendum.
"Sans cette révision, il y aurait moins de possibilités de travailler pour la sécurité de la population suisse", avertit la conseillère fédérale dans Forum. Elle ajoute que la loi actuelle, en vigueur depuis quatre ans, fonctionne bien, mais peut être améliorée après expériences et propositions du Parlement.
Marc Menichini/jj avec ats
Pallier les infractions des services de renseignements sur la collecte d'information
Dans leur rapport annuel publié en janvier 2020, les commissions de gestion estimaient que le SRC enfreignait la loi en collectant des informations sur des partis politiques et des mouvements sociaux qui ont pleinement respecté les règles démocratiques et le cadre légal. Elles demandaient des mesures, notamment sur la saisie et l'analyse des données.
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L’interdiction de rechercher ou de traiter des données relatives aux activités politiques ou à l’exercice de la liberté d’opinion, d’association ou de réunion demeure identique. La nouvelle loi réglemente les catégories de données du renseignement plutôt que de définir les systèmes d’information correspondants, sans toutefois affecter la protection des données.
David Raedler: "La Suisse va déjà très loin"
Pour David Raedler, avocat lausannois spécialiste de la sphère privée et député Vert au Grand Conseil, la Suisse va déjà très loin concernant la surveillance des personnes. Une fois la loi sur le renseignement (LRens) révisée, la Suisse se situerait encore plus haut dans la liste des pays qui surveillent leur population, commente-t-il.
"La LRens est une loi de contexte. C’est-à-dire qu'on y ajoute des éléments au moment où, dans le contexte, il semble y avoir des dangers", explique-t-il au micro de La Matinale vendredi. "C'est ce qu'il s'est passé il y a deux ans, avec la révision de la LRens qui a eu lieu par rapport au terrorisme. Et maintenant, avec un montée d’un certain type d’extrémisme, qu'il soit de gauche ou de droite, on a une nouvelle petite couche qu’on veut rajouter à la loi par rapport à ce nouveau danger."
Toutefois, selon lui, le terrorisme, dont la définition est assez large, peut déjà inclure passablement de mouvements qui seraient vus comme extrémistes. "La LRens a déjà un catalogue de mesures qui est très extensif", insiste-t-il. Des mesures qui permettraient déjà de lutter contre ce nouveau danger.