La guerre en Ukraine a provoqué l'exil de plus de six millions de personnes, a rappelé la ministre de justice et police Karin Keller-Sutter. C'est le plus grand mouvement de fuite en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Et il est extrêmement rapide.
Les pays voisins, en particulier la Pologne, ont été les plus touchés, a-t-elle poursuivi. Fidèle à sa tradition humanitaire, la Suisse a également accueilli près de 50'000 réfugiés en moins de trois mois. "Nous n'avions encore jamais vécu ça."
Confédération, cantons, communes et organisations d'aide ont intensément travaillé main dans la main pour prendre en charge rapidement les réfugiés. Le Conseil fédéral a activé pour la première fois le statut de protection S.
Système fédéral complexe
Des places d'hébergement supplémentaires ont été créées. Et la population a fait preuve d'une énorme solidarité en accueillant quelque 25'000 personnes, a souligné la St-Galloise. Environ 12'000 enfants ont quant à eux dû être scolarisés.
Tout n'a pas été parfait d'emblée. Nathalie Barthoulot, présidente de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS), a identifié trois principaux défis.
L'hébergement des réfugiés, notamment en début de crise où chacun pouvait se rendre où il le souhaitait, a mis à mal la clé de répartition habituelle, a-t-elle expliqué. Certains cantons prisés ont ainsi fait face à des charges plus élevées.
La communication autour du statut accordé, normalement effectuée dans les centres d'asile, a aussi été rendue plus difficile. Et les différences de défraiement entre les cantons ont soulevé questions et incompréhensions. Nathalie Barthoulot rappelle toutefois que ces divergences ont toujours existé. Une harmonisation n'a jamais été possible, principalement pour des raisons politiques.
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Une réflexion à plus long terme serait intéressante sur le statut des personnes étrangères. "Il n'est cependant pas question de créer de nouvelles inégalités entre les admis provisoires et les personnes à protéger", souligne-t-elle. Les deux catégories ne peuvent retourner dans leur pays en raison d'une guerre ou de violences.
Réflexions autour du statut S
Un groupe de travail, constitué d'experts externes, a d'ailleurs été mis sur pied pour se saisir de la question. "Il doit répondre à plusieurs questions. Est-ce que le statut S a rempli sa fonction de protection? Est-ce qu'il a permis d'éviter une surcharger du système d'asile? Est-ce qu'il a été possible de se coordonner avec l'Union européenne? Faut-il le prolonger ou le désactiver?" a indiqué Karin Keller-Sutter.
Il faudra aussi évaluer les autres statuts du système d'asile, a estimé la ministre, sans pour autant promettre de changement. "Les réformes ont toujours échoué. La gauche veut une plus grande ouverture et une plus grande générosité. A droite, on veut être plus strict et sévère. C'est difficile de trouver une majorité."
Pour Nathalie Barthoulot, le groupe de travail devrait aussi permettre aux bénéficiaires du statut S de se projeter dans l'avenir. "Il faut donner des perspectives à ces personnes." Enfants et jeunes doivent pouvoir poursuivre ou démarrer une formation. L'évolution du statut S dans les prochains mois doit être clarifiée.
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Jusqu'à deux milliards
Pour le moment, la Confédération estime les coûts entre 1,2 et 2 milliards de francs. Berne verse un forfait de 1500 francs par personne et par mois aux cantons, ainsi que 3000 francs supplémentaires pour faciliter l'apprentissage des langues.
"Il s'agit de dépenses extraordinaires, comme pour le coronavirus, car elles n'étaient pas prévisibles", a précisé la conseillère fédérale. Elles pourraient s'avérer plus élevées au final, si les combats s'intensifient et les réfugiés affluent de nouveau. Pour l'instant, les arrivées faiblissent. La Suisse table toutefois toujours sur quelque 10'000 nouveaux réfugiés par mois.
D'autres problèmes se posent encore, comme le potentiel d'abus des réfugiés ukrainiens rentrant au pays tout en touchant l'aide sociale suisse. Les autorités évaluent la possibilité d'un court voyage d'une quinzaine de jours pour visiter des proches ou préparer leur retour, a précisé Karin Keller-Sutter. Il est aussi question de mettre sur pied une plateforme européenne où seraient enregistrés tous les bénéficiaires d'aide sociale pour éviter les doublons.
ats/jj