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Les mâchefers, ces déchets dont personne ne veut mais qu'il faut bien stocker

Des décharges pleines de mâchefers
Des décharges pleines de mâchefers / Mise au point / 12 min. / le 22 mai 2022
Où stocker les mâchefers, ces résidus qui proviennent de la combustion des déchets? Les décharges sont pleines, en particulier en Suisse romande, et personne ne veut de nouvelles décharges dans son proche environnement, malgré l'urgence.

On trouve dans les mâchefers tout ce qui reste après la combustion à 900 degrés des déchets ménagers. Comme le tri sélectif n'est pas toujours entièrement respecté, l'incinération des piles et des batteries, par exemple, a pour conséquence la présence de métaux lourds comme le plomb, le mercure ou l'arsenic à la sortie des fours, des composants dangereux pour l'environnement.

Et le taux de métaux lourds dans les mâchefers, même traités, reste élevé. En Suisse, l'Ordonnance sur les déchets interdit d'ailleurs de les utiliser pour la construction ou les routes. "Leur composition peut changer du jour au lendemain, car on ne sait pas ce qui rentre du côté des déchets", concède Albert Bachmann, directeur de la Société anonyme pour l'incinération des déchets du canton de Fribourg (SAIDEF), qui exploite l'usine d'incinération du canton. "Le plus difficile, c'est les polluants qui arrivent ici mais ne devraient pas se trouver dans les ordures ménagères", a-t-il témoigné dimanche dans l'émission Mise au point.

Planification difficile

Jusqu'à il y a peu, les mâchefers de la SAIDEF partaient à la décharge de Châtillon, à moins d'un kilomètre de l'usine d'incinération. Mais elle s'est remplie plus vite que prévu et n'accueille aujourd'hui plus de mâchefers, "pour des raisons techniques", explique le chef du secteur sites pollués du Service de l'environnement du canton de Fribourg Loïc Constantin. "Aujourd'hui, nous n'avons pas de casier [fosse étanche destinée à recevoir les déchets dans un centre de stockage, ndlr] pour prendre le relais de celui dédié aux mâchefers, qui est maintenant plein".

Dans cette décharge de type D, les mâchefers doivent s'équilibrer avec un autre type de déchets, dits mixtes, issus de la construction. "Pour ces déchets mixtes, nous n'avons pas une maîtrise sur la quantité comme on peut l'avoir sur les mâchefers, car elle dépend de l'activité du secteur de la construction, de l'assainissement des sites pollués... Il y a une part d'incertitude difficilement planifiable", détaille Loïc Constantin. "On a quand même été un peu surpris. On était persuadés que dans les 5 à 6 ans à venir, on avait encore de la place. C'est un peu ce qu'on nous prédisait", remarque de son côté le chef de la SAIDEF.

On a quand même été un peu surpris. On était persuadés que dans les 5 à 6 ans à venir, on avait encore de la place

Albert Bachmann, directeur de la Société anonyme pour l'incinération des déchets du canton de Fribourg (SAIDEF)

Situation tendue dans toute la Suisse romande

La situation est d'ailleurs tendue dans toute la Suisse romande. A Berne, on parle d'urgence environnementale. Les cantons de Genève et du Valais (lire encadré) sont pleins, le canton de Vaud le sera dans un an et demi. La fermeture provisoire du casier à mâchefers du canton de Fribourg vient donc allonger la liste.

>> Regarder aussi le sujet du 19h30 en janvier dernier :

De nouvelles décharges à mâchefers doivent ouvrir en Suisse romande pour y enfouir les cendres de nos poubelles
De nouvelles décharges à mâchefers doivent ouvrir en Suisse romande pour y enfouir les cendres de nos poubelles / 19h30 / 2 min. / le 19 janvier 2022

En attendant, les mâchefers fribourgeois partent dans la décharge de Boécourt, dans le Jura, ce qui représente 260 kilomètres aller-retour. Il y a six mois, elle a ouvert en urgence des casiers pour accueillir les 300 tonnes quotidiennes de mâchefers en provenance de Genève et de Fribourg.

Sécurité environnementale en question

"Ca n'est jamais agréable de sacrifier des terres agricoles pour faire des décharges. Mais heureusement qu'il y a cette décharge ici, parce que je ne sais pas où les Genevois et les Fribourgeois iraient déposer leurs mâchefers! On leur donne un coup de main pendant ces prochaines années, mais en espérant que des solutions locales seront trouvées dans un avenir proche", réagit le chef d'exploitation du Syndicat de gestion des déchets de Delémont et environs (SEOD) Claude Gorrara.

Ca n'est jamais agréable de sacrifier des terres agricoles. Mais heureusement qu'il y a cette décharge ici, parce que je ne sais pas où les Genevois et les Fribourgeois iraient déposer leurs mâchefers

Claude Gorrara, chef d'exploitation du Syndicat de gestion des déchets de Delémont et environs (SEOD)

Pour lui, il n'y "aucun risque environnemental" de faire paître du bétail sur une ancienne décharge. Les mâchefers sont enterrés avec la plus grande précaution. Il y a une bâche étanche en dessous et au-dessus du tas, un système de drain pour surveiller les eaux et des contrôles réguliers.

La première ferme est à un kilomètre de la décharge, mais avec des pâturages juste à sa limite. Ses exploitants reconnaissent une certaine inquiétude, notamment l'éventuelle dispersion des cendres dans l'air lors de journées sèches et venteuses. "On fait tout pour que la poussière reste localisée sur le site, que ça ne vole pas", rassure Claude Gorrara. Mais il reconnaît quand même que, comme dans une carrière, la poussière est bien là, et que le site n'est pas particulièrement protégé en cas de tempête.

Genève n'a pas encore trouvé de solution

Les mâchefers genevois et fribourgeois rapportent au SEOD 4 millions de francs par année, avec un contrat limité à 5 ans. D'ici là, Fribourg espère parvenir à rouvrir des casiers à mâchefer dans la décharge de Châtillon. Genève, en revanche, n'a pas encore de solution. Des terres agricoles sur la commune de Satigny sont pressenties, mais le canton rencontre de fermes oppositions, à commencer par celle du maire. "Enfouir les déchets, c'est une pratique d'un autre temps", argue Willy Cretigny. Pour lui, il faut avant tout des mesures pour arrêter de mettre sur le marché des produits non durables et non réparables.

Enfouir les déchets, c'est une pratique d'un autre temps. On ne peut pas se contenter du 51% de taux de tri actuel. Ca doit être du 100%

Willy Cretigny, maire de Satigny (GE)

La commune prépare un test de tri total des déchets, qui passerait par l'ouverture des sacs pour en ressortir les piles et autres éléments qu'il ne faudrait pas brûler. "On ne peut pas se contenter du 51% de taux de tri actuel. Ca doit être du 100%", plaide Willy Cretigny. "On doit savoir ce qu'on met dans le four".

L'UDC genevoise, de son côté, a lancé une initiative pour interdire toute nouvelle décharge sur le territoire du canton et propose de stocker et traiter les mâchefers dans des espaces industriels. "Nous privilégions la destruction en France, où ils savent traiter ces déchets", avait indiqué en mars dernier Céline Amaudruz à La Matinale de la RTS.

>> Plus de détails dans notre article : L'UDC genevoise veut interdire toute nouvelle décharge pour les déchets mâchefers

Sujet TV: Emmanuelle Bressan
Adaptation web: Vincent Cherpillod

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A Port-Valais, la population a refusé d'accueillir les mâchefers du canton

Dernière commune en date à s'être dressée contre une décharge à mâchefers, Port-Valais (qui rassemble les villages du Bouveret et des Evouettes, à l'extrémité est du Léman) a refusé le 13 février dernier une extension de sa décharge pour les stocker. "C'est un aberration, en 2022, de venir mettre une décharge à l'entrée du village du Bouveret, là où des gens passent, où des gens vivent", résume Daniel Hauser, membre fondateur de l'association citoyenne contre la décharge.

>> Plus de détails dans notre article : Pas d'agrandissement d'une décharge à Port-Valais, le tunnel compromis

"Il faut tirer les leçons du passé!", a-t-il plaidé dans Mise au point. "Ils ont exploité cet endroit pendant 10 ans en y amenant déjà des scories, puis se sont rendus compte qu'il y avait des fuites. Pourtant, ils avaient fait une étanchéité. Est-ce que la nouvelle étanchéité tiendra, suffira?", s'interroge-t-il. "Nos enfants viennent jouer ici. Peut-être que dans 20 ans, 30 ans, ils auront des problèmes de santé..."

Les mâchefers valaisans sont pour l'instant envoyés dans le canton de Zurich, en attendant de trouver une meilleure solution.

>> Regarder aussi le sujet du 12h45 sur la décharge prévue à Port-Valais :

Un projet de décharge à mâchefers cristallise les tensions à Port-Valais (VS)
Un projet de décharge à mâchefers cristallise les tensions à Port-Valais (VS) / 12h45 / 1 min. / le 19 janvier 2022
Le périmètre approximatif de l'ancienne décharge du Bouveret. [Swisstopo - RTS]
Le périmètre approximatif de l'ancienne décharge du Bouveret. [Swisstopo - RTS]

"Pas de ça chez nous"

La réticence de la population lorsque de grands projets d'implantation liés à l'industrie, à la production d'énergie, à l'accueil des migrants ou encore au transport de masse n'est pas nouvelle. On donne même un nom à ce phénomène, "Nimby", acronyme de l'expression anglaise "Not in my backyard" ("Pas dans mon arrière-cour").

>> Ecouter le Journal du matin de la RTS dresser un bref historique du phénomène :

"Les éoliennes, c'est bien, mais pas dans mon jardin". [Jean-Christophe Bott]Jean-Christophe Bott
Le phénomène NIMBY / Le Journal du matin / 4 min. / le 2 février 2012

"Je comprends très bien ce sentiment. C'est un réflexe que tout le monde a", convient Robin Quartier, directeur de l'Association suisse des exploitants d'installations de traitement des déchets (ASED), interrogé sur le plateau de Mise au point.

Pour lui, cependant, l'inquiétude des gens est injustifiée dans le cadre des décharges pour mâchefers. "Votre reportage mentionne le risque d'accident écologique, mais on prend vraiment toutes les précautions possibles pour que ce risque soit quasiment nul", défend-il, évoquant notamment le soin mis pour étancher les décharges.

"Tout le monde travaille à dépolluer les produits. Par exemple, le cadmium, qui était un pigment rouge utilisé dans les plastiques, est interdit. Et le mercure est interdit dans les piles. Le but est que ce qui arrive dans les décharges soit le plus inerte possible", ajoute Robin Quartier.

Tirer parti des points forts de chaque canton

Pour lui, la solution passe par davantage de collaboration entre les cantons, chacun ayant des conditions différentes sur son territoire, avec des avantages et des inconvénients. "Il ne faut pas que ces décharges soient sur des nappes phréatiques afin d'éviter un contact avec les eaux souterraines. Il y a des cantons où la géologie n'est pas adaptée. Quand des riverains sont très proches, ce n'est pas idéal non plus".

L'installation des grandes usines d'incinération à proximité des villes, comme à Genève, est par exemple une bonne chose, afin de réutiliser la chaleur produite par l'incinération des déchets de manière efficace. "Mais ensuite, il faut bien gérer ce qui reste de nos déchets. Ces résidus sont quand même des restes d'objets qui étaient chez les gens avant! Une grande partie des mâchefers, c'est du sable à chat", illustre-t-il.

>> Ecouter son interview dans Mise au point :

Interview: Robin Quartier, directeur ASED
Interview: Robin Quartier, directeur ASED / Mise au point / 3 min. / le 22 mai 2022