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La Confédération doit renforcer la prise en charge psychiatrique des requérants d’asile

L'entrée du Centre fédéral d'asile de Boudry (NE) le 17 mars 2022. [Keystone - Valentin Flauraud]
Dans les centres d'asile, prise en charge psychiatrique des requérants et prévention du suicide doivent être renforcées / La Matinale / 2 min. / le 25 mai 2022
Un rapport commandé il y a plus d’un an par le Secrétariat d’Etat aux migrations vient d’être publié, a appris la RTS. Il contient une vingtaine de recommandations pour mieux prévenir les suicides et les automutilations dans les centres fédéraux d’asile.

Davantage de formation et de postes de soignants diplômés. Voilà ce que recommandent en priorité les experts mandatés en avril 2021 par le Secrétariat d’Etat aux migrations. L’appel d’offre, révélé par la RTS, a été lancé après deux suicides survenus en 2019 et 2020 au grand centre d'enregistrement et de procédures de Boudry (NE). L’appel d’offres indiquait ceci sur ce qui se passe à Boudry et dans les deux autres centres principaux de Suisse romande à Chevrilles (FR) et Vallorbe (VD): "Si les suicides sont relativement rares (1 à 2 cas par année), les tentatives de suicide et les automutilations sont fréquentes (jusqu’à plusieurs fois par semaine)".

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C’est une équipe de spécialistes d’Unisanté et du CHUV dans le canton de Vaud qui a été mandatée. Ces experts ont interrogé le personnel, effectué des visites de terrain et décortiqué les nombreux règlements de l’administration. Ils ont concentré leur analyse sur les centres de Suisse romande, car c’est de là que l’alarme a été donnée par le personnel. Un personnel qui présente "un risque élevé de burnout et de fatigue de la compassion", confirment les experts. Ils recommandent d’instaurer des cellules de soutien et de généraliser la formation de prévention au risque suicidaire. Pour l’heure, seule une minorité du personnel est formée (17% selon un questionnaire).

Des équipes sanitaires débordées et insuffisantes

En abordant le sort des équipes sanitaires du prestataire privé ORS en charge de la gestion des centres fédéraux, les experts vont jusqu'à évoquer "une fragilité structurelle très importante et une charge de travail conséquente. Les départs récurrents et arrêts maladie (…) sont connus depuis longtemps". Conséquence logique: le rapport préconise "davantage de personnel soignant diplômé". Au centre de Boudry, par exemple, l’équipe sanitaire se compose de 12 personnes contre 130 pour la sécurité.

Des consultations psychiatriques hebdomadaires devraient aussi être prévues sur place, dans les centres d’asile. La procédure actuelle est longue avec le passage obligé par un médecin traitant puis une prise de rendez-vous en psychiatrie, selon le modèle classique de l’assurance-maladie de base. Pour une population spécialement fragilisée et en mouvement d’un pays ou d’un canton à l’autre, ce n’est pas adapté. Il peut en résulter, écrivent les experts, "des retards très importants dans la confirmation du diagnostic et la mise en place d’un traitement adéquat, ce qui peut augmenter le risque suicidaire ou d'automutilation".

Des examens à l’arrivée des requérants à améliorer

Autre enseignement de ce rapport, "le dépistage des troubles psychiques, ainsi que des addictions doit être revu en entier". Les logiciels informatiques qui appuient les procédures médicales à l’arrivée des requérants offrent un panel de questions "insuffisant". Il faut renforcer les entretiens cliniques et y inclure des interprètes. Une infirmière d'un centre fédéral confirme à la RTS que les questionnaires sont d’abord prévus pour détecter la gale ou la tuberculose. Une autre collaboratrice révèle que la consultation à l’arrivée est même parfois retardée pendant des semaines en raison de l’afflux massif de réfugiés d’Ukraine.

Autre biais signalé: les rapports d’incident que doivent remplir les agents de sécurité sont mal conçus et passent à côté de la mention de gestes auto-dommageables. Les statistiques ne sont donc pas fiables. Les entretiens avec le personnel ont montré que la perception du nombre de gestes désespérés par mois peut varier de 5 à plus du double. Comme les requérants concernés sont en majorité de jeunes hommes en provenance du Maghreb et d’Asie, souvent violents et présentant des problèmes d'addictions, il se développe une forme de "contre-attitude" de la part du personnel, selon les experts. Une infirmière confirme le phénomène: "Il y a jusqu'à plusieurs fois par jour du chantage au suicide pour obtenir tel médicament ou telle permission. Il est donc difficile de bien déceler les vrais risques".

Le SEM évalue les mesures à prendre

Face à ce rapport assez sévère et une situation tendue sur le terrain, le SEM a indiqué à la RTS que "les recommandations sont en cours d'évaluation". Les experts ont rendu leur rapport à la fin de l’année dernière déjà, mais la crise ukrainienne ralentit tous les dossiers, reconnaît le SEM. Ce n’est que la semaine dernière que l’administration a validé le rapport et l’a discrètement publié sur internet. Premier effet concret, selon nos informations, des consultations hebdomadaires de médecins et de psychiatres dans les centres fédéraux d’asile sont en cours de négociations à Boudry et à Vallorbe, alors que c’est déjà appliqué à Chevrilles.

"Nous attendons ces renforts depuis des années!", soupire une infirmière. Comme certains de ses collègues de la sécurité et de l’encadrement, elle dit être "grillée" par le climat de souffrances et de tensions croissant dans les centres fédéraux. "Le plus souvent, les femmes requérantes ont subi des violences sexuelles, dit-elle. Et le parcours des hommes oscille entre violence, drogue et parfois la délinquance". Une situation explosive que la crise ukrainienne vient empirer, exacerbant même des rivalités et des jalousies entre types de requérants.

Ludovic Rocchi

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Difficulté à trouver des spécialistes

Invitée dans Forum pour réagir à ces informations, la porte-parole du SEM Anne Césard a expliqué que la difficulté pour le SEM était de "trouver suffisamment de médecins et de spécialistes qui sont à disposition".

"Il faut dire aussi que nous signons toujours plus de conventions avec les réseaux de médecins (...). Par le biais de conventions, cela permet de faciliter l'accès des requérants à tous ces spécialistes. Mais c'est un défi, même pour un citoyen lambda", détaille Anne Césard.

>> Ecouter l'interview complète d'Anne Césard dans Forum :

L'entrée du Centre fédéral d'asile de Boudry (NE) le 17 mars 2022. [Keystone - Valentin Flauraud]Keystone - Valentin Flauraud
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