Formulées dans un langage peu consensuel, parfois familier, ces nouvelles interpellations directes entre les comptes de différentes ambassades brouillent les frontières de la communication et alimentent les différents narratifs d'une guerre de l'information 2.0. Ainsi, le compte de l'ambassade russe en France, par exemple, a presque doublé sa production de tweets depuis le début de l'invasion russe.
Quelques jours après le début de la guerre, l'ambassade russe en Afrique du Sud publie sur son compte Twitter un message de remerciements à celles et ceux qui soutiennent l'action du pays, qui "80 ans après, continue de combattre le nazisme en Ukraine".
Les diplomates allemands répondent dans la foulée: "Ce que la Russie fait en Ukraine, c'est massacrer des enfants, des femmes et des personnes innocentes pour son propre profit. Ce n'est certainement pas de la 'lutte contre le nazisme'", lit-on dans ce tweet. "Honte à tous ceux qui se laissent prendre à ce jeu. (Malheureusement, nous sommes plutôt des experts en nazisme)". Le message a été retweeté 40'000 fois.
D'après une analyse de la branche française de l'Institut pour le dialogue stratégique (IDS), cette production s'associe à des mécanismes de "trolling" et d'"astroturfing" – des opérations généralement menées à l'aide de bots qui se coordonnent pour faire monter artificiellement certains sujets ou opinions dans les tendances – pour multiplier l'audience et la viralité.
Guide pour les ambassades suisses
En Suisse, les ambassades disposent d'un guide numérique qui encadre leur utilisation des réseaux sociaux. Qu'est ce que la Suisse officielle a le droit de dire sur ses différents comptes? Elle renseigne le public, entretient une relation avec lui – important surtout quand il s'agit d'une ambassade à l'étranger qui veut maintenir un contact avec les expatriés suisses – et s'informe sur les opinions et les préoccupations de la population.
Le guide n'oublie pas les bonnes pratiques à adopter. Il conseille notamment d'éviter de publier des posts sur les spécialités culinaires de la Suisse en pleine période de crise alimentaire au Venezuela. Les ambassadeurs pourront aussi écrire: "Nous comptons sur votre présence", et non "réception le 3 janvier, nous avons commandé la bière", peut-on lire dans le guide.
Tout le monde ne peut pas être actif sur les réseaux sociaux au nom de la Suisse. Seul un cercle restreint de personnes en ont le droit, comme les chefs de mission. Et même en étant présent à titre personnel, pas question d'écrire sous son nom le fameux "mes tweets n'engagent que moi".
Souci en Chine
Poster au nom de la Suisse ne doit en aucun cas nuire à la stratégie politique du pays, ni aller à son encontre. Ce qui peut parfois se révéler compliqué quand on compte quatre partis dans un seul gouvernement. Cela a déjà posé problème. Le dernier exemple connu date d'il y a quatre mois.
L'ambassade de Suisse à Pékin avait posté, sur le réseau social chinois Weibo, un tweet critique envers les droits de l'Homme en Chine. Elle avait demandé où se trouvait un avocat disparu depuis deux mois. Le tweet avait été censuré environ 24 heures après sa publication.
>> Relire : La Chine censure un message de l'ambassade suisse sur le réseau social Weibo
L'UDC Thomas Aeschi s'en était alors pris à l'ambassade suisse: ce tweet a-t-il été discuté et validé par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE)? Non, avait répondu son chef Ignazio Cassis, car chaque ambassade est responsable du contenu qu'elle diffuse.
Mais le conseiller fédéral soutient ses troupes, ainsi que le contenu du tweet. Il précise aussi que ses services sont toujours là en cas de doute ambassadorial et en cas de "shitstorm" (déferlement haineux, en français) sur les réseaux sociaux, selon le guide pratique.
Faible taux de réponse
Est-ce que les directives de ce guide sont toujours suivies? Les directives encouragent, par exemple, à répondre toujours dans un délai raisonnable aux interpellations et vérification faite, le DFAE ne répond pas souvent, voire jamais, aux commentaires qui lui sont faits.
A sa décharge, ce sont bien quelque fois des interpellations provocatrices, auxquelles le parfait diplomate numérique se réserve le droit de ne pas répondre.
Miruna Coca-Cozma et Muriel Ballaman/vajo