C'est une véritable mine d'or bleu. Le sous-sol suisse regorge d'eau. A tel point que 80% de ce liquide que nous buvons provient de zones souterraines.
Pourtant, celles-ci restent largement mystérieuses: "Seuls 2% à 3% sont connus", estime Pierre-Yves Jeannin, hydrogéologue et directeur de l'Institut suisse de spéléologie et de karstologie (ISSKA).
La connaissance de nos sous-sols comporte de nombreux avantages: "Cela a un intérêt direct. En explorant les grottes, on peut observer le flux de l'eau", rapporte le spécialiste.
Mais il y a aussi des intérêts plus indirects: "Lorsqu'on construit un tunnel dans un massif, par exemple, c'est quand même intéressant de savoir quels sont les endroits où l'on risque de rencontrer des problèmes techniques."
Au fil de l'eau...
Pour suivre les ruisseaux cachés, les experts utilisent une technique basique: des colorants. "On regarde ensuite dans les alentours pour voir où ressort l'eau colorée."
Une partie des eaux qui s’infiltrent dans la roche calcaire des montagnes neuchâteloises ressortent à la source de la Serrière, au bord du lac de Neuchâtel. Mais pas seulement: "On sait que les eaux qui s'infiltrent sur le Jura se dirigent en partie vers le Plateau suisse", explique l’hydrogéologue. "Elles représentent une ressource intéressante pour le futur, en termes d'eau de qualité et de quantité suffisante."
Un potentiel d'exploitation
Plusieurs projets sont en cours dans différents cantons pour exploiter le précieux liquide: "Nous travaillons avec Berne, Soleure et la Confédération pour évaluer le réel potentiel", indique Pierre-Yves Jeannin.
La géothermie est une option: "Lorsque ces eaux descendent suffisamment en profondeur, elles vont se chauffer. On peut alors envisager de faire une exploitation géothermique. C'est d'ailleurs ce qui est en train de se faire à Genève."
Forage exploratoire à Genève
Les tests menés actuellement par le canton de Genève et en France voisine semblent prometteurs. "Nous aurons une vision globale en automne ou en fin d'année", fait savoir François Martin, géologue aux Services industriels de Genève (SIG).
Concrètement, une installation de géothermie pilote a été installée à Satigny en 2018. L'eau provient d'un réservoir calcaire, situé entre 400 et 744 mètres sous le sol, et sort à 33 degrés.
Alors que la géothermie est connue pour provoquer des tremblements de terre - comme cela a été le cas à Bâle en 2010 et 2006 - les risques seraient limités dans le cas genevois: "Les projets qui ont causé de la sismicité en Suisse ciblaient des rochers beaucoup plus profonds, relativement peu poreux et perméables. La gamme de géothermie n'est donc pas comparable", assure François Martin.
Retard en Suisse
Ces tests ont permis de combler certaines lacunes, selon Nathalie Andenmatten, responsable du programme géothermie du canton de Genève: "En Suisse, on est vraiment en retard, car nous n'avons pas d'histoire pétro-gazière."
Les possibilités vont au-delà de la géothermie: "Le sol pourrait être utiliser pour le stockage de CO2, la production d'électricité ou pour du lithium. On est au début de l’exploitation des sous-sols."
En attendant, la responsable se réjouit des premiers résultats obtenus: "(Ce forage exploratoire) nous a donné de la crédibilité. Car ce n'est jamais certain de tomber sur une ressources telle que celle-ci. Tous les forages ne sont pas des succès. Quand nous aurons tous les résultats, nous pourrons vraiment positionner des forages et avoir un maximum de succès."
Coraline Pauchard et Katia Bitsch
A qui appartient le sous-sol?
"On dit que l'exploitant du sous-sol en est propriétaire jusqu'à une profondeur utile. On parle ici par exemple de garages ou de caves", explique Nathalie Andenmatten. Les zones plus en profondeur appartiennent ensuite à l'Etat.
"En Suisse, il y a donc 26 propriétaires, avec 26 lois et manières de l'utiliser", précise la responsable du programme géothermie du canton de Genève.
Elle préconise une harmonisation au niveau national: "L'essentiel, c'est de mettre la connaissance à disposition de tous. C'est un milieu qui est piloté par l'industrie avec des enjeux de concurrence."
Les choses sont en train de changer, selon Nathalie Andenmatten: "Il y a énormément de pression de la part de la Confédération pour rendre ces données publiques et obliger les acteurs privés à les transmettre. Mais pour cela, il faut modifier les bases légales."