A l’époque de son procès, il s’appelait Osama. En mars 2016, ce djihadiste est condamné par le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone à trois ans et demi de prison pour soutien au groupe Etat islamique. Il avait été arrêté deux ans plus tôt en compagnie de trois autres ressortissants irakiens suspectés d’avoir planifié un attentat terroriste en Europe.
Pourtant sous le coup d’une décision d’expulsion du territoire assortie d’une interdiction d’entrée à durée indéterminée, Osama ne sera finalement pas expulsé de Suisse, car sa vie serait mise en danger s’il était refoulé en Irak. Peu après sa sortie de prison, il demande au canton de Schaffhouse de changer d’identité et choisit un nom à consonance juive. La requête est acceptée.
La communauté juive "inquiète"
Contactées, les autorités schaffhousoises indiquent avoir simplement appliqué les dispositions du droit fédéral en matière de changement de nom, en vigueur depuis 2013. Pour le canton, le changement d’identité de cette personne ne représente pas en soi une menace pour la société. Schaffhouse dit avoir informé les autorités fédérales. L’homme est donc toujours connu des services de police.
La faîtière des communauté juives de Suisse, elle, ne comprend pas la décision de Schaffhouse. "Nous sommes inquiets parce que le nom à consonance juive peut naturellement être utilisé pour s'infiltrer dans la communauté juive", relève Jonathan Kreutner, secrétaire général de la Fédération suisse des communautés israélites. "Nous ne comprenons pas qu'une autorité ne réalise pas qu'il peut y avoir un risque accru pour une minorité menacée", s’insurge-t-il.
Il a changé d’identité. Un nouveau nom, de nouveaux amis - mais toujours la même dangerosité.
Dans son dernier rapport annuel, l’Office fédéral de la police considère d’ailleurs que le djihadiste "continue de représenter une menace pour la Suisse". Dans ce rapport, l’homme est anonymisé, mais notre enquête prouve que c’est bien lui dont parle Fedpol: "Abdullah s’appelle désormais Isaiah. Il a changé d’identité. Un nouveau nom, de nouveaux amis - mais toujours la même dangerosité."
Le Parlement serre la vis
Pour Fedpol, une des réponses possibles est "l'application de la loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme". Cette loi, acceptée par le peuple en juin dernier et entrée en vigueur au 1er janvier 2022, donne à la police des moyens supplémentaires, lui permettant notamment d'agir préventivement contre des personnes soupçonnées de terrorisme. En dernier recours, la personne visée peut faire l'objet d'une assignation à résidence.
A l’avenir, une telle situation ne devrait toutefois plus se représenter. Le Parlement a adopté mercredi une motion du sénateur indépendant Thomas Minder qui demande l’interdiction du changement pour toutes les personnes frappées d’une décision d’expulsion. A Schaffhouse, l’Irakien condamné pour soutien au groupe Etat islamique pourra néanmoins conserver son identité biblique, la mesure n’étant pas rétroactive.
Enquête: Franco Di Nunzio et Julien Guillaume
Adaptation web: Didier Kottelat
Un cas unique en Suisse
Le cas schaffhousois semble unique en Suisse. La RTS a contacté l'ensemble des cantons suisses. Dans les cantons qui ont répondu, aucun n'a connaissance d'une personne sous le coup d'une décision d'expulsion du territoire et qui aurait décidé de changer d'identité. Il est même rarissime de voir de simples délinquants changer d'identité, relèvent les autorités.
"Quand bien même une personne aurait été condamnée, si les motifs invoqués ne sont pas illicites ou contraire au mœurs et que le nom souhaité est conforme au droit, la demande est examinée en fonction des circonstances concrètes", souligne l'Etat de Genève. Il n'y a pas d'exception pour les personnes frappées d'une décision d'expulsion.
A noter qu'une bonne partie des cantons n'exigent pas la présentation du casier judiciaire dans le cadre de la procédure de modification d'identité. "Un changement de nom n’efface évidemment pas les condamnations inscrites sur le casier judiciaire", tient toutefois à préciser l'Etat de Vaud.