C'est en Suisse que la chasse aux sorcières a été la plus féroce, bien plus qu'en France ou qu'en Italie. Durant 250 ans, des femmes, des hommes et parfois même des enfants ont été exécutés après avoir été jugés coupables du crime de sorcellerie. Un crime imaginaire puisque les aveux étaient extorqués sous la torture.
Le sort réservé aux "enfants sorciers"
Les enfants ne sont pas épargnés par cette persécution de masse. Ils portent d'ailleurs des noms de famille qu'on entend encore aujourd'hui. Françoise Janot, Claude Pillet, Pierre Girard ou encore Marie Godron ont été accusés d’être des sorcières ou des sorciers. Certains y ont même laissé leur vie.
C'est notamment le sort de Claude Bernard, un vagabond qui a quitté la France pour la Suisse dans le but de "mendier son pain". Il est condamné à mort deux ans plus tard pour crimes de sorcellerie. Il avoue, lors de son procès, avoir rencontré le diable en personne à Saint-Saphorin (VD), tué de nombreuses poules et même assassiné d’autres enfants avec sa simple haleine. Il sera décapité dans la forteresse du Belluard (FR), le 6 octobre 1651, à l'abri des regards. Il avait 12 ans.
Les enfants accusés de sorcellerie ont souvent un lien direct ou familial avec une personne déjà suspectée de ce crime
A Fribourg, c’est un tribunal séculier et non ecclésiastique qui a jugé ces personnes. La sorcellerie est du ressort des affaires pénales, au même titre que le vol ou le meurtre. "C’est souvent des enfants qui ont un lien direct ou familial avec une personne qui est déjà suspectée de sorcellerie. Il arrivait aussi que des enfants se dénoncent eux-mêmes", explique Rita Binz-Wohlhauser, collaboratrice aux archives de l’Etat de Fribourg, dans le podcast "Au terrible temps des sorcières".
Des scènes de crimes familières
Si le crime de sorcellerie est imaginaire, les lieux où la justice a été rendue existent encore aujourd’hui. Vous vous y êtes même probablement déjà rendus, sans le savoir. Parmi ces lieux, on retrouve, par exemple, le Château de Valangin (NE), le Château de Chillon (VD) ou encore le Château de l’Isle (VD). Les exécutions, elles, avaient souvent lieu à l’extérieur des villes, au pied des murailles, afin d’éviter que le feu des bûchers se propage dans les habitations.
Dans le pays de Vaud, des milliers de bûchers ont embrasé les campagnes et les villages entre le XVe et le XVIIe. Parmi ces villages, celui de Gollion, 200 habitants, a connu une chasse aux sorcières particulièrement meurtrière, qui a décimé 10% de la population en une quinzaine d’années.
C’est entre 1580 et 1650 que la chasse aux sorcières connaît son apogée en Suisse. A Chillon, dans la seule année 1600, le bailli Nicolas de Watteville fait exécuter 40 personnes, dont 35 femmes. A Cossonay, on brûle deux et parfois trois sorcières à la fois pour économiser les frais de bourreau et de bois. A Fribourg, un sorcier sur dix est un enfant.
Les racines de la haine
Face à de telles atrocités, plusieurs questions demeurent: comment un tel phénomène, unique dans l’histoire du monde, a-t-il pu surgir, perdurer durant 250 ans puis disparaître en ne laissant derrière lui qu’un gigantesque tas de cendres? Comment, en toute bonne foi, des juges ont pu exécuter des centaines de personnes, y compris des enfants? Enfin, comment expliquer ces flambées de haine, qui venaient pour la plupart des populations elles-mêmes? Pour Jacob Rogozinski, philosophe et auteur du livre "Ils m'ont haï sans raison; de la chasse aux sorcières à la Terreur", la réponse à cette dernière question reste une énigme.
Ainsi, selon lui, on peut expliquer le comment, mais difficilement le pourquoi. "Nous sommes dans un dispositif de persécution qui a comme unique fonction de repérer des ennemis et de les détruire". Et permet ainsi de tuer "en toute bonne conscience".
Nous sommes dans un dispositif de persécution qui a comme unique fonction de repérer des ennemis et de les détruire
Dans cette hystérie collective, désigner des boucs émissaires permet également de régler de nombreux conflits, qu'ils soient politiques ou sociaux. La sorcellerie sert ainsi souvent d’explication "rationnelle" aux malheurs du monde comme la peste, la famine ou encore la sterilité.
Enfin, la sorcellerie est perçue comme une menace très importante pour la société, rappelle Rita Binz-Wohlhauser. "Or, quand il y une peur aussi dominante dans la société, on essaie de trouver des responsables".
>> Le film "A mort la sorcière !" de Maria Nicollier et Cyril Dépraz est diffusé dimanche 19 juin sur RTS 2 dans Histoire vivante. Il est déjà visible sur : page radio
>> Cinq épisodes de la série d'Histoire Vivante consacrée à la chasse aux sorcières peuvent aussi être écoutés sur la page radio d'Histoire vivante.
Série documentaire: Cyril Dépraz
Réalisation: Didier Rossat
Production: Magali Philip et Grégoire Molle
Article web: Hélène Krähenbühl