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"Je préfère mettre de l'essence dans mon tracteur qu'aller en soirée"

La pression se renforce sur le Conseil fédéral pour qu’il trouve une solution pour freiner la hausse de prix du carburant. [Depositphotos - minervastock]
"Je préfère mettre de l'essence dans mon tracteur que d'aller en soirée" / La Matinale / 3 min. / le 16 juin 2022
Depuis plusieurs mois, le prix moyen des carburants en Suisse dépasse allégrement les deux francs. Un litre d'essence ou de diesel coûte 50 centimes de plus qu'au début de l'année. De quoi creuser un trou dans le budget de nombreux ménages et entreprises, comme en témoignent plusieurs automobilistes rencontrés dans des stations-service romandes.

Plus de 2,30 francs pour l'essence sans plomb et 2,40 francs pour le diesel. C'est le prix moyen que les automobilistes suisses devaient payer pour un litre de carburant cette semaine, selon le décompte établi par le Touring Club Suisse.

Ces niveaux, inimaginables il y a encore une année, représentent une hausse de quelque 60 centimes par litre par rapport à la moyenne de l'an dernier. Et selon les spécialistes, ce n'est pas fini. Début mars, Guy Parmelin évoquait même un prix de quatre francs par litre.

Le pétrole n'a pas attendu la guerre en Ukraine pour prendre l'ascenseur, mais la véritable explosion des prix à la pompe a commencé début mars, juste après le début de l'invasion russe. Même les plus anciens ne se souviennent pas d'une hausse aussi soudaine et aussi forte. "J'ai un âge canonique, mais je n'ai jamais vu cela", confie jeudi dans La Matinale Jean-Pierre, un retraité croisé dans une station-service à Avry-sur-Matran (FR), très en colère vis-à-vis du maître du Kremlin.

Les consommateurs entre panique et résignation

Patron du Pit-Stop à Boudevilliers (NE), David Seigneur constate une certaine "panique" de la population face à cette situation extrêmement instable. Et, étonnamment, cela se manifeste par une certaine "surconsommation". De peur de voir les prix grimper plus haut encore, des personnes vont même jusqu'à remplir des jerrycans. "Et ce n'est pas forcément pour la tondeuse", plaisante-t-il, rappelant toutefois que les particuliers n'ont pas le droit de stocker plus de 60 litres à domicile.

Tous les clients se plaignent des prix, mais il est rare de trouver quelqu'un qui admette être personnellement en difficulté financière à cause de l'inflation. "J'ai la chance de ne pas trop devoir compter", avoue un chef d'entreprise fribourgeois qui vient de mettre pour 145 francs d'essence dans sa Porsche. "J'espère quand même que ça ne va pas encore monter, parce que pour les personnes qui ont un budget serré, 20 francs de plus par plein, ça fait un trou dans le budget à la fin du mois."

Si on ne répercute pas la hausse du prix du diesel sur les clients, on peut fermer la porte

Claude Baechler, chef d'entreprise à Villars-sur-Glâne (FR)

La plupart des automobilistes que la RTS a rencontrés se montrent plutôt résignés. "Il faut bien qu'on aille bosser, qu'on emmène les gosses à l'école", note une frontalière française rencontrée dans la station-service du Val-de-Ruz (NE). Propriétaire de deux véhicules, elle chiffre la hausse du budget d'essence de son ménage à plusieurs centaines d'euros par mois. "Cela représente une belle augmentation, mais on n'en est pas encore à devoir sacrifier d'autres choses pour circuler avec nos voitures."

Sacrifices ou changements de comportement

Tous n'ont pas cette chance. Kevin débarque au Pit-Stop au volant de son tracteur rutilant. Ce jeune Vaudruzien travaille dans l'exploitation agricole de son oncle. Il reconnaît que la situation est difficile. "Cela me fait un sacré vide, environ 100 francs par mois, en fonction de ce que je fais dans les champs", évalue-t-il. "On se serre dans d'autres domaines. Malheureusement, je ne fais plus de sorties. Je me consacre un peu plus à moi, à ma vie de famille. Je préfère mettre de l'essence dans mon tracteur qu'aller en soirée", déclare-t-il.

Quand certains font des sacrifices, d'autres envisagent de changer leurs comportements de consommation. C'est le cas de Laure. Pré-retraitée, cette femme habite dans la campagne fribourgeoise. Pour elle, il n'est pas question de se passer de voiture, car les transports publics dans sa région ne sont pas assez performants. Elle réfléchit plutôt à se séparer de sa voiture à essence pour "un véhicule plus économique". Le problème: "une voiture électrique coûte cher!"

Des hausses de prix répercutées par les entreprises

Les entreprises, elles aussi, sont frappées de plein fouet. Et à court terme, le seul moyen de faire face, c'est souvent d'augmenter les prix. "Depuis le début de l'année, on a pris environ 35% de hausse sur le diesel. Pour nous, il n'y a qu'une seule solution: répercuter cette hausse sur nos clients, ce qui représente une hausse des prix de 5%", affirme Claude Baechler, directeur de Baechler Transports à Villars-sur-Glâne (FR). "Si on ne fait pas ça, on peut fermer la porte", ajoute le chef d'entreprise, à la tête d'un parc de quelque 60 camions.

Ca fait peur. Si je dois perdre un chantier à cause du prix de l'essence, c'est inquiétant

Christelle Billaud, patronne d'une entreprise de peinture à Val-de-Ruz (NE)

Les plus petites entreprises ne sont pas épargnées. "Je me déplace dans toute la Suisse romande et, à cause de la hausse du prix de l'essence, je suis obligée de facturer plus à mes clients", note Christelle Billaud, patronne de l'entreprise Ca Roule Peinture à Savagnier (NE). Pour limiter les déplacements, elle s'astreint parfois à faire des journées plus longues. Sa hantise: devoir refuser des clients parce qu'ils sont trop loin. "Cela fait peur. Si je dois perdre un chantier à cause du prix de l'essence, c'est inquiétant."

L'impôt sur les carburants dans le viseur

Certains interlocuteurs font un appel du pied à la Confédération pour que l'Etat fédéral se prive temporairement d'une partie des taxes qu'il prélève sur l'essence et le diesel. L'objectif est de soulager le porte-monnaie des ménages et des entreprises. "Si on peut alléger un peu, tout le monde va en bénéficier, pas seulement nous", argumente Claude Baechler. "Si la politique ne fait rien par rapport aux taxes, c'est le consommateur qui ramasse", renchérit David Seigneur.

Aujourd'hui en Suisse, l'ensemble de ces taxes - impôt sur les huiles minérales, surtaxe sur les carburants et TVA - représentent presque 95 centimes par litre de sans plomb et plus de 98 centimes par litre de diesel. Environ la moitié du produit de ces taxes est directement affectée au trafic routier ou aérien, tandis que l'autre moitié de cette manne tombe dans la caisse générale de la Confédération.

Baisse des taxes contre chèque fédéral?

Sous la Coupole fédérale, c'est l'UDC et les défenseurs du lobby routier qui sont les fers de lance d'une baisse de l'impôt sur les carburants. Les démocrates du centre ont déposé au Parlement plusieurs propositions en ce sens, qui n'ont pas trouvé grâce lundi auprès de la majorité du Conseil des Etats. Jeudi, le Conseil national a, à son tour, refusé toutes les propositions pour alléger les taxes sur l'essence et le diesel.

Le Conseil national a balayé cet après-midi une série de motions qui visaient à baisser le prix de l’essence
Le Conseil national a balayé cet après-midi une série de motions qui visaient à baisser le prix de l’essence / 19h30 / 2 min. / le 16 juin 2022

Plusieurs pays voisins comme la France, l'Allemagne et l'Italie ont, eux, franchi le pas. Le gouvernement français a décidé d'abaisser les taxes de 18 centimes d'euros par litre à partir du 1er avril. En conséquence, l'essence et surtout le diesel sont désormais moins chers dans l'Hexagone qu'en Suisse. Au Locle et à La Chaux-de-Fonds, les gérants de station-service rencontrés par la RTS ont tous fait part d'une baisse très significative de la clientèle frontalière.

Reste que, pour bon nombre d'élus fédéraux, y compris à droite, la réduction des taxes n'est pas la panacée. La gauche est vent debout contre cette mesure qui, selon elle, profiterait avant tout aux ménages aisés et à l'industrie pétrolière. Pour lutter contre la baisse du pouvoir d'achat, le Parti socialiste plaide pour un chèque fédéral, une solution jugée plus sociale. L'idée est de verser un montant fixe à tous les habitants du pays, sauf les 20% les plus aisés, et ce à condition que l'inflation dépasse les 5%.

Une inflation qui reste mesurée

Le Conseil fédéral, pour sa part, rappelle que l'inflation en Suisse reste raisonnable en comparaison internationale (2,9% en mai contre 8,7% en Allemagne et 5,8% en France). Le gouvernement ne voit donc pas de nécessité de prendre des mesures dans l'immédiat pour lutter contre la hausse des prix.

Un groupe de travail interdépartemental planche toutefois sur la question et examine en permanence les éventuelles mesures à prendre, leur financement et leurs conséquences, a indiqué le grand argentier de la Confédération Ueli Maurer.

Mathieu Henderson et Didier Kottelat

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