A Payerne, Francine Antille déplore que son fils de 10 ans, qui a un trouble du spectre autistique, ne soit en classe ordinaire que trois demi-journées par semaine, soit moins que durant toutes les autres années de sa scolarité.
"Au début de l'année scolaire, on nous a dit qu'on démarrait avec douze unités qu'il serait possible d'augmenter par la suite. Quand enfin on a rediscuté de ce point au printemps, il n'y avait plus de moyens. Ni d'enseignants spécialisés, ni d'assistantes à l'intégration pour accompagner notre fils en classe", raconte-t-elle dans La Matinale.
Décalage avec la réalité du terrain
Pour Francine Antille, il y a un grand décalage entre la réalité du terrain et ce qui est dit: "L'école inclusive est un nom qu'on utilise pour tout et pour rien, mais moi je ne la vis pas." Selon elle, trois matinées par semaine, avec un programme spécialisé, quasiment sans contact avec les élèves, relève "plutôt de l'intégration que de l'inclusion".
Comme elle, beaucoup de parents en viennent à douter de l'école inclusive dans sa forme actuelle. D'ailleurs, face à cette situation et sans place en institution spécialisée, Francine Antille n'exclut pas, un jour, de scolariser son fils à la maison. Consciente que tout repose encore énormément sur les efforts des parents, l'association Forum handicap Vaud ne se dit pas surprise par le désarroi de certaines familles.
Mécontentement des enseignants et syndicats
Cette insatisfaction fait écho aux critiques des enseignants, avec un sommet atteint durant les élections cantonales vaudoises. Mais à l'approche des grandes vacances, le débat est loin de s'apaiser. La Société pédagogique vaudoise vient de voter une résolution pour la tenue urgente d'assises sur l'école inclusive.
Dans le canton de Genève, une lettre ouverte sera envoyée ce jeudi aux autorités, demandant "plus de postes pour une école vraiment inclusive". Il en manquerait 266 dans l'enseignement spécialisé, selon la Société pédagogique genevoise. Le Syndicat des enseignants romands vient aussi de lancer un appel pour plus de ressources pour les élèves en difficulté.
Car l'inclusion augmente en Suisse: en 15 ans, le taux de séparation scolaire a diminué de moitié, alors que la part d'enfants avec des besoins particuliers ne cesse d'augmenter. La situation des enseignants se complique, surtout dans les classes avec des tout petits, où certains besoins n'ont pas encore été détectés et se révèlent en classe, comme l'explique Lucie Lobsiger, enseignante en 1H dans le Nord vaudois et membre de la Société pédagogique vaudoise.
"Comme on a aussi de plus en plus d'élèves avec des difficultés, on se retrouve à recevoir des enfants en 1H avec des problématiques diverses. C'est un peu le paquet surprise et on doit réagir très rapidement, car ce sont des enfants qui posent des problèmes au début de scolarité. Pour ces enfants, il est compliqué d'avoir de l'aide immédiate, tout prend du temps et les démarches administratives sont très lourdes."
Réponse politique
Critiquée pour être allée trop vite en besogne, la ministre socialiste vaudoise en charge de l'éducation, Cesla Amarelle, a stoppé son concept d'école inclusive ce printemps. La demande venait notamment de la droite afin de préserver la qualité de l'enseignement et éviter un nivellement par le bas. Cette dernière reprendra d'ailleurs en main, dès le mois de juillet, le département de la formation. Il est encore trop tôt pour savoir quelle forme l'école inclusive prendra dans le canton à l'avenir.
Ailleurs en Suisse, l'hétérogénéité à l'école a également du plomb dans l'aile. A Bâle-Ville, par exemple, un comité interpartis bataille pour réintroduire des classes spécialisées. Du côté de Genève, l'argument du nivellement par le bas semble avoir pesé dans les urnes au moment de la votation sur la réforme du CO qui voulait abolir les niveaux et qui a été refusée.
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Sujet radio: Julie Rausis
Adaptation web: Fabien Grenon
Romain Lanners: "Le problème, c'est la répartition des ressources"
Romain Lanners, directeur du Centre suisse de pédagogie spécialisée, entend la frustration des enseignants ordinaires qui demandent plus de moyens. Mais comme il l'explique dans La Matinale, le problème ne se pose pas à ce niveau-là. Selon lui, l'école inclusive se heurte plutôt à un problème structurel historique.
"En Suisse, jusque dans les années 1960, il n'y avait pas d'offres de scolarité pour les élèves avec des besoins particuliers. Avec l'arrivée de l'assurance invalidité, on a investi beaucoup d'argent dans la construction d'écoles spécialisées", explique-t-il dans La Matinale.
Répartition des ressources à revoir
Résultat: aujourd'hui, il y a un problème de répartitions des ressources. "Il y a trop de ressources dans les écoles spécialisées, alors que de plus en plus d'élèves en difficulté passent à l'école ordinaire", déplore-t-il, admettant que les choses bougent, mais trop lentement.
"Pour les parents, les changements ne sont pas assez rapides, alors que le système scolaire met du temps à se transformer. Du côté des professionnels, les changements sont trop rapides. Il faut trouver le bon équilibre pour diminuer les frustrations de tous", ajoute-t-il.