Éviter le black-out: la Suisse face au défi des pénuries d'électricité
L'électricité est sans doute l'énergie la plus importante et la plus cruciale que nous consommons. Il s'agit aussi d'une énergie qui est directement produite en Suisse, contrairement aux énergies fossiles.
La question de la transition énergétique, et avec elle les enjeux liés au nucléaire et aux énergies renouvelables comme le solaire ou les éoliennes, est capitale. Mais depuis quelques mois, le spectre du black-out est brandi par la Confédération, qui craint des pénuries d'électricité dans le futur.
RTS La Première a consacré lundi une journée spéciale pour thématiser et explorer ces enjeux liés à l'électricité. Pour l'émission Forum, la rédaction était en direct depuis le barrage d'Emosson, en Valais. Cette page regroupe les contenus qui y ont été diffusés.
Adaptation web: Antoine Schaub
Une pénurie dès cet hiver?
La patronne d'Alpiq tire la sonnette d'alarme
Alors que la menace de pénurie d'électricité se fait de plus en plus insistante en Suisse, la patronne du groupe Alpiq, Antje Kanngiesser, craint que l'approvisionnement soit insuffisant pour l'hiver prochain.
A cette période, les réservoirs de stockage pour l'hydraulique sont très peu remplis et la dépendance aux ressources étrangères se fait plus forte.
"S'il n'y a rien à importer, on peut finir par devoir réduire la consommation. D'abord pour l'industrie et ensuite peut-être pour les clients finaux", avance Antje Kanngiesser lundi dans La Matinale.
Les fournisseurs de courant annonceront leurs tarifs à la fin de l’été, mais la plupart prévoient déjà une hausse, parfois massive. Cette augmentation est une conséquence indirecte de la guerre en Ukraine, qui est venue ajouter encore un peu plus de pression sur un marché européen de l’énergie déjà tendu depuis un an.
Les fournisseurs ont toutefois plusieurs outils à disposition pour limiter une hausse trop drastique. Ceux qui produisent l’électricité renouvelable en Suisse peuvent, par exemple, la facturer au prix de production et non au prix du marché.
Les fournisseurs ont aussi à disposition d’autres mécanismes financiers. Ils peuvent faire le choix de ne pas intégrer les découverts de couverture des années précédentes dans les tarifs de 2023 ou de réduire leur bénéfice à court terme.
Visualiser sa consommation
Un autre moyen efficace de réduire sa facture d'électricité est de diminuer sa consommation. Pour faciliter cela, un projet de recherche européen est actuellement testé en Valais. Il vise à faciliter la visualisation de la consommation électrique d'une maison.
L'étude, pilotée par la Haute Ecole Spécialisée du Valais, doit soutenir les ménages en leur offrant un véritable diagnostic de la quantité d'électricité qu'ils consomment.
Stocker l'électricité
Le village de Thierrens, dans le canton de Vaud, abrite l'un des premiers quartiers en Suisse romande presque 100% autonome en énergie. Pour atteindre l'autonomie totale, Thierrens mise sur le stockage de l'électricité produite en trop. Pour cela, des batteries d'occasion vont être installées dans des caves.
Électrification à tout prix
Le paradoxe de la transition énergétique
Le dernier rapport des experts climatiques du Giec a insisté sur l'importance de réduire notre consommation d'énergie pour atteindre nos objectifs climatiques. Or, dans la pratique, nous sommes toujours plus équipés d'appareils électriques.
Les innovations actuelles consistent notamment à rendre un maximum d'objets électriques et connectés. Mais pour beaucoup d'entre eux, cela n'est pas vraiment indispensable, comme les VTT, trottinettes ou encore surfs électriques.
Selon l’Office fédéral de l’énergie, le nombre d’appareils électriques a progressé en Suisse de près de 42% entre 2002 et 2020.
Voitures électriques
L'explosion de la demande de bornes
L'augmentation du nombre de voitures électriques pose le défi des bornes de recharge. Les propriétaires immobiliers reçoivent toujours plus de demandes pour en installer. Selon l’Office fédéral de l'énergie, les besoins en électricité devraient augmenter de 15 à 20% d’ici 2050 pour répondre aux exigences de cette nouvelle mobilité.
En attendant, cette augmentation de la demande de bornes a des conséquences directes pour les régies immobilières et leurs fournisseurs d'énergies.
Simonetta Sommaruga préoccupée
"La Suisse a trop misé sur l'importation d'électricité"
Face au risque de pénurie d'électricité, la conseillère fédérale en charge de l'Energie Simonetta Sommaruga estime dans l'émission Forum qu'il faut produire davantage d'électricité en Suisse.
La production hydraulique est "centrale" pour la stratégie énergétique de la Suisse. "Avec la guerre en Ukraine, malheureusement, nous prenons conscience de notre dépendance aux énergies fossiles", observe la conseillère fédérale.
Simonetta Sommaruga insiste sur le fait qu'il faut développer "beaucoup plus vite" les énergies renouvelables. La conseillère fédérale en charge de l'Energie rappelle que 15 projets de centrales hydroélectriques prometteurs ont été identifiés, comme la construction d'un nouveau barrage à Zermatt.
Selon elle, il s'agit d'un véritable changement de paradigme: "Au cours des dix dernières années, nous avons trop misé sur l'importation. (...) Il faut produire davantage d'électricité, ici, en Suisse." Aujourd'hui, 72% de l'énergie consommée en Suisse provient de l'étranger.
L’énergie d’origine hydraulique est de loin la principale source d'énergie renouvelable en Suisse. A terme, elle devra couvrir 40% des besoins du pays, mais le réchauffement climatique pourrait contrarier ces plans.
Bettina Schaeffli, professeure en hydrologie à l’Université de Berne, se veut toutefois rassurante: "La grande majorité de l'eau qui remplit les lacs de barrages ne provient pas des glaciers, mais de la pluie et de la neige qui tombe chaque année. Et il y aura toujours ces précipitations à l'avenir."
La chercheuse pointe un changement saisonnier: "En été, l'eau va arriver plus tôt avec la fonte de plus en plus précoce de la neige et des glaciers. Les exploitants d'installations hydroélectriques devront s'adapter à cette nouvelle situation."
Et de préciser: "Nous vivons une année très représentative de ce qui va arriver. Il fait très chaud et très sec, et les bassins-versants en haute montagne ont maintenant plus d'eau que jamais au mois de juin, ce qui est profitable pour les barrages. Par contre, en plaine, les rivières sont à leur minimum."
Des recours en cascade
Pour relever le défi de l'énergie hydraulique, des engagements ont été pris tant du côté des promoteurs, de la Confédération que des associations de défense de la nature. Mais selon Michael Frank, directeur de l'association des entreprises électriques suisses, les projets ont de la peine à avancer.
"Il y a des oppositions de la part d'associations qui n'étaient pas autour de la table des négociations ou qui ne voulaient pas signer. Ces recours ne font que repousser la réalisation de ces projets", explique-t-il dans Forum.
Une manne financière importante
Les barrages ont aussi leur poids économique. L’eau a un prix. Pour l’utiliser, les exploitants paient une contribution aux communes concédantes. Pour Emosson, ce sont notamment les communes de la Vallée du Trient, Salvan, Finhaut et Vernayaz.
"Pour nous, c'est le poumon économique local. Cela représente 343 millions de francs pour les communes concessionnaires, dont 125 millions pour la commune de Salvan. C'est une manne importante", explique dans Forum Florian Pasienta, président de la commune de Salvan.
Électricité solaire
Progression rapide mais insuffisante
Entre 2010 et 2020, la capacité électrique du photovoltaïque a été multipliée par trente en Suisse. La production ne représente toutefois qu'une petite partie de l'électricité consommée chaque année.
Le cumul de la puissance installée entre 2005 et 2020 atteint 3000 mégawatts. Un véritable bond a été effectué en une décennie. En 2022, l'énergie solaire pourrait produire 3,4TWh (3TWh en 2021), soit l'équivalent de 5,7% de l'électricité consommée en Suisse.
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Maisons individuelles
A titre de comparaison, les deux réacteurs de la centrale nucléaire de Beznau ont fourni une quantité inférieure de courant en 2021, soit respectivement 3,2 et 2,8 TWh.
A terme, l'objectif est de quadrupler les résultats de 2020. Un tel rythme de développement permettrait de produire 50% de l'électricité consommée en Suisse grâce au solaire d'ici 2050.
Mais il sera nécessaire de trouver où installer les panneaux. Durant les 15 dernières années, la puissance électrique solaire s'est déployée principalement sur les maisons individuelles et dans les zones industrielles.
La Suisse pourrait manquer d’électricité dès 2025, alertait en automne dernier le conseiller fédéral en charge de l'Economie Guy Parmelin. En parallèle de la recherche de solutions pour garantir l'approvisionnement, la Confédération a mis au point un plan catastrophe en cas de pénurie durable.
Cela pourrait survenir si le marché ne produit plus assez d’électricité par rapport à la demande au point de créer un déséquilibre profond. Un tel scénario pourrait survenir si nos voisins, allemands et français, réduisent leur exportation d'électricité, faute de gaz et de centrales nucléaires en activité.
Les premières mesures concernent les entreprises. Mais si la situation se dégrade trop, les particuliers peuvent être affectés. Le Conseil fédéral peut en effet interdire tous les appareils gourmands en énergie qui ne sont pas indispensables, comme les saunas, les piscines, les ascenseurs ou les éclairage de vitrines.