Trois tonnes d'or russe raffiné à plus de 99,5% ont transité par le Royaume-Uni avant d'arriver en Suisse, pour une valeur de plus de 190 millions de francs. La Suisse avait pourtant arrêté d'en importer depuis le début de la guerre en Ukraine, fin février.
Il s'agit certainement de lingots, selon les spécialistes interrogés. Toutefois, des questions subsistent: qui les a vendus en Russie et qui les a achetés en Suisse? Les douanes ne fournissent pas ces informations, mais précisent que l'or était destiné à des raffineries ou à des entreprises industrielles.
Alors que l'Union européenne et la Suisse ont instauré des sanctions contre la Russie, l'achat d'or russe n'en fait pas partie. Toutefois, les grandes raffineries suisses sont toutes sous l'autorité de la London Bullion Market Association, une association qui interdit l'achat d'or russe depuis le début de la guerre.
Banque centrale russe à l'origine de la vente?
La RTS a sollicité la faîtière suisse du secteur, l'Association suisse des fabricants et commerçants de métaux précieux. Elle affirme qu'aucun de ses membres n'est à l'origine de ces importations.
Au-delà de l'identité de l'acheteur, l'origine des lingots interroge également, car l'or de la Banque centrale russe est sous sanction, y compris en Suisse. Bruxelles et Berne ne veulent pas que Moscou vende ses lingots pour financer la guerre.
Pour les spécialistes, il y a un risque que la Banque centrale russe, qui détient des montagnes d'or, soit à l'origine de cette vente. De son côté, l'Office fédéral de la douane indique qu'il va vérifier ces importations. Le Secrétariat d'Etat à l'économie n'a cependant pas ouvert d'enquête par manque d'indices.
Sandrine Hochstrasser/aps
"La lumière doit être faite sur cette affaire"
Selon Marc Ummel, responsable pour les matières premières au sein de la fondation Swissaid, une enquête doit être ouverte. "Quand une fonderie ou une raffinerie ne respecte pas les recommandations de l'administration fédérale, il y a assez d'indices pour enquêter. Je pense que le Seco se trompe, c'est très surprenant. Dans le secteur de l'or, tout le monde est conscient qu'il y a un risque très important", explique-t-il jeudi dans La Matinale.
Selon l'expert, ces trois tonnes d'or arrivées en Suisse soulèvent beaucoup de questions. "Il y a un risque que cet or participe directement ou indirectement au financement de la guerre en Ukraine. Il peut aussi s'agir d'un contournement des sanctions prises à l'égard de la Russie. Enfin, l'or pourrait également servir à un oligarque dans des cas de blanchiment d'argent. On demande que la lumière soit faite sur cette affaire."
Marc Ummel rappelle qu'il est interdit de traiter avec la Banque centrale russe actuellement. "Toute la question est de savoir quand cet or a été exporté de Russie et qui est derrière ce trafic. Si c'est la Banque centrale, il y a une violation claire des sanctions. Et ça pourrait être le cas: l'or arrivé en Suisse a déjà été raffiné, donc il y a de fortes chances qu'il se trouvait dans les coffres-forts de la banque ou qu'il a été produit dans une raffinerie russe."