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Les piscines romandes encore divisées face au burkini et autres maillots couvrants

Le burkini est de retour cet été dans plusieurs piscines de Suisse romande, avec la controverse qui l'accompagne
Le burkini est de retour cet été dans plusieurs piscines de Suisse romande, avec la controverse qui l'accompagne / 19h30 / 2 min. / le 26 juin 2022
La question du port de burkini dans les piscines s'invite à nouveau dans le débat en France, qui vient d'annuler son autorisation dans les piscines municipales de Grenoble au nom de la laïcité. En Suisse romande, la réglementation varie toujours d'une commune à l'autre, mais des initiatives font bouger les lignes.

Le débat sur le burkini revient chaque année en même temps que les beaux jours. En France, où il fait des vagues depuis des années, la dernière décision en date concerne la ville de Grenoble qui voulait l'autoriser - tout comme d'ailleurs la baignade seins nus pour les femmes et les maillots anti-UV pour tous. Après une procédure de recours, le Conseil d'Etat, la plus haute juridiction administrative française, a tranché: le burkini restera interdit dans les piscines municipales grenobloises.

>> Lire : Interdiction du burkini dans les piscines municipales confirmée en France

En Suisse, c'est aux communes propriétaires des infrastructures sportives de décider de leur politique en la matière. À Lausanne par exemple, le maillot couvrant est interdit. La Suissesse Houria Zghami l'a appris à ses dépens l'été dernier. "Au bout d'une petite demi-heure de baignade, un maître-nageur m'a demandé de quitter le bassin, parce que je portais un costume non-adéquat à la piscine", raconte-t-elle dans le 19h30 de la RTS. Et de montrer le textile dont est fait son burkini, "le même que l'on trouve dans les costumes de bain".

Dans les piscines lausannoises, le règlement est strict, détaillant ce que les hommes et les femmes ont le droit de porter. Il devrait prochainement être modifié, comme l'a annoncé récemment 24 heures, ce à quoi l'UDC s'oppose. "C'est malvenu, dans la mesure où (le burkini) est le symbole des revendications politico-religieuses des musulmans les plus extrémistes", estime la conseillère communale Josée-Christine Lavanchy (UDC).

Peu importe le physique, peu importe le vêtement que porte une autre personne, je n'ai pas à me sentir heurtée moi-même.

Meriam Mastour, juriste

"J'arrive à comprendre que le burkini puisse heurter la sensibilité d'autres baigneurs, dans le sens où on a tellement banalisé l'islamophobie", note Meriam Mastour, juriste, consultante sur les questions d'inégalités et de discrimination et présidente de l'association féministe des Foulards Violets. "Mais ce sentiment n'est pas légitime: peu importe le physique, peu importe le vêtement que porte une autre personne, je n'ai pas à me sentir heurtée moi-même", préconise-t-elle dans l'émission Hautes fréquences de la RTS.

Si le règlement lausannois devait changer, c'est à la suite d'un postulat déposé par Manon Zecca, conseillère communale d'Ensemble à Gauche. Pour elle, les tenues de bains n'ont pas a être politisées. "Que ce soit un burkini, des habits longs faits pour la piscine ou être topless, on voit une focalisation encore et toujours sur la tenue portée par les femmes. On demande donc qu'on soit tous et toutes égaux dans notre rapport à la baignade", expose-t-elle.

Meriam Mestour abonde: "Le burkini est un vêtement comme un autre. Toute femme et personne appartenant à une minorité de genre doit pouvoir décider de la manière dont elle s'habille pour les raisons qui lui sont propres", souligne-t-elle.

>> Les explications de Meriam Mastour dans l'émission Hautes fréquences :

Collection de maillots de bain [Depositphotos - Zubada]Depositphotos - Zubada
Quelle place pour le burkini dans nos bassins? / Hautes fréquences / 15 min. / le 26 juin 2022

A l'instar de Lausanne, d'autres communes mènent actuellement des réflexions dans ce domaine, comme celle d'Yverdon-les-Bains qui interdit encore le burkini dans ses piscines, mais où la municipalité interpellée à ce sujet va traiter en septembre la question d'une révision du règlement.

Si le port du burkini reste prohibé à Pully, Vevey autorise en revanche les maillots couvrants depuis longtemps. "Et pas que le burkini, mais n'importe quelle tenue qui soit hygiénique", précise Laurie Willommet, conseillère municipale veveysanne (PS) en charge du Sport. "Il est autorisé depuis toujours, le règlement n'a jamais été changé, tout se passe bien, et j'espère qu'on sera un exemple pour d'autres communes."

Importance du type de textile

Comme à Vevey, de nombreuses piscines municipales qui se montrent ouvertes aux maillots de types burkini ne les mentionnent pas de façon explicite, mais placent le curseur sur la question de l'hygiène: les matières des maillots et autres combinaisons de bain doivent être des tissus "agréés" pour le bain - à l'instar du lycra ou du néoprène des tenues de plongée - et propres.

A ces conditions, les piscines municipales de Morges et Nyon acceptent elles aussi le burkini et autres maillots couvrants. Même son de cloche dans les principales piscines en Valais - celles de la ville de Sion, de Monthey et de Martigny.

Dans le canton de Fribourg, les piscines communales de la Ville de Fribourg, de Charmey et de Bulle ont adopté la même politique. Dans le canton de Neuchâtel également, les piscines municipales de Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds appliquent cette devise: oui au burkini ou autres tenues couvrantes s'ils sont faits de tissus agréés. Une réglementation également en cours dans les piscines bernoises de Bienne et de Moutier.

Dans le canton du Jura également, la piscine municipale de Porrentruy se contente d'interdire les tenues "non aquatiques". A Delémont, le règlement communal ne tolère que les combinaisons en néoprène ou en lycra près du corps et "ne dépassant pas les coudes et les genoux". Mais aucune cliente en burkini ne s'est jamais présentée, selon un responsable.

A Genève en revanche, la seule piscine du canton qui accepte les tenues couvrantes de type burkini est celle du Lignon, selon les différents responsables interrogés par la RTS.

A mon sens, les recommandations pourraient se concentrer à l'avenir sur le fait de porter un "vêtement de piscine propre".

Christian Barascud, président de l'Association des piscines romandes et tessinoises

Face à ces différences de traitement dans le paysage des piscines publiques, la faîtière de la branche n'a qu'une marge de manoeuvre restreinte. "Nous ne donnons pas de directives en la matière, puisque nous représentons les propriétaires des piscines, c'est-à-dire les communes, qui décident de leur politique", explique Christian Barascud, président de l'Association des piscines romandes et tessinoises (APRT).

La campagne pour l'hygiène en piscine de l'APRT.
La campagne pour l'hygiène en piscine de l'APRT.

Selon le responsable, c'est l'ensemble des vêtements longs qui posent problème en piscine - du short non dédié à la baignade à la combinaison de plongée, en passant par les tenues anti-UV et le burkini. "A mon sens, les recommandations pourraient se concentrer à l'avenir sur le fait de porter un 'vêtement de piscine propre'", avance Christian Barascud.

Hygiène corporelle

La récente campagne de sensibilisation de l'APRT axe par ailleurs son message sur l'hygiène corporelle, mettant l'emphase sur la responsabilité des baigneurs et baigneuses. La question de la longueur des tenues est abordée aussi: "Plus la tenue de bain est grande, plus elle est une source de pollution pour l'eau de votre piscine, et augmente les besoins en produits désinfectants", expliquent les affichettes d'information.

Culture, besoin de se sentir à l'aise, affections dermatologiques, lutte contre le cancer de la peau ou convictions religieuses: le besoin d'une meilleure inclusivité au moment d'exposer son corps suscite des initiatives. "Les personnes qui portent le burkini ne le font pas pour mettre en avant leur foi musulmane, ou par un agenda politique. Elles le font par pudeur, par culture, ou pour toutes autres raisons qui leur sont propres. S'attaquer au burkini, c'est aussi laisser de côté toutes les personnes qui souhaiteraient s'habiller de manière plus couvrante qu'avec un maillot ou bikini", souligne la juriste Meriam Mastour qui prépare, conjointement avec d'autres associations concernées, une campagne pour aboutir à des règlements de piscine qui n'excluent personne.

"En 2022, tout le monde doit avoir accès aux équipements publics sportifs et de bien-être", résume-t-elle.

>> Ecouter aussi le grand débat de Forum consacré au Burkini :

Le grand débat - Le burkini est-il un accessoire comme un autre?
Le grand débat - Le burkini est-il un accessoire comme un autre? / Forum / 20 min. / le 28 juin 2022

Katharina Kubicek
Sujet radio: Jessica Da Silva
Sujet TV: Thomas Epitaux-Fallot et Léandre Duggan

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