Natasha Shaparieva est une amoureuse de la langue de Molière. Cette femme de 35 ans a étudié, puis enseigné le français durant huit ans à l'Université de Kharkiv, l'une des meilleures d'Ukraine. Elle a même consacré sa thèse à l'écrivain Louis-Ferdinand Céline.
"Tous mes amis avaient à peu près le même niveau. Beaucoup sont partis faire science-po à Paris par exemple", explique-t-elle dans un excellent français.
Face à la guerre, elle a fui son pays avec son fils de 5 ans, ainsi qu'une amie et ses deux enfants. Le petit groupe a rejoint le village vaudois de Bretonnière en avril dernier. Aidés par une connaissance, ils se sont installés chez des privés.
C'est lors d'une rencontre avec les autorités scolaires pour l'encadrement des enfants ukrainiens que Natasha a proposé ses services. L'établissement primaire et secondaire Vallorbe, Ballaigues, Vallon du Nozon, l'a alors engagée avec un statut de remplaçante. "Pour moi, c’est extrêmement important de travailler", dit-elle. "J’ai besoin d’une activité sociale. J’ai toujours travaillé en Ukraine. Il est normal qu’une femme travaille, c’est une question d’émancipation."
"C'est un grand choc"
Depuis un mois, la jeune femme donne des cours de français intensifs quatre matins par semaine: "C'est un grand choc, car je suis habituée à travailler avec des étudiants qui sont adultes. Ici, à l'école, ils ont entre 10 et 14 ans", indique Natasha.
Lorsque ces élèves ne suivent pas les cours de français, ils sont intégrés dans des classes ordinaires, avec leurs camarades suisses. Et même s'ils ne sont que six, cela reste un défi: "Certains sont plus avancés que d'autres. Certains veulent travailler, d'autres pas."
Ces différences de niveau s’expliquent notamment par le degré de motivation: "De nombreux enfants imaginent tôt ou tard rentrer en Ukraine, ils n’ont donc pas très envie d’apprendre le français. D’autres, au contraire, pourraient imaginer vivre ici, cela les pousse à apprendre."
L'atout du français
Natasha est consciente de l'atout que représente ses connaissances du français: "Pour la plupart des Ukrainiens en Suisse, c'est quasiment impossible (de se débrouiller) sans la langue", observe-t-elle. "Comme enseignante de français, je me rends bien compte que pour bien apprendre cette langue, on va y passer des années, pas seulement des mois."
D'ailleurs, personne dans son entourage n'a encore trouvé de travail. Pas même son amie Valeria qui, pourtant, parle français aussi bien qu'elle. A l’instar de très nombreuses Ukrainiennes venues seules avec leurs enfants, celle-ci fait face à un autre obstacle majeur: la garde. Rare et, surtout, coûteuse.
"L'Etablissement vaudois d'accueil des migrants (EVAM) nous a dit qu'il pouvait nous aider financièrement. Mais cela reste de la théorie. On ne sait pas comment cela va se passer dans la réalité, parce que les coûts de la garderie représentent 50% du salaire, voire davantage."
Et d'ajouter: "Cela ne vaut pas la peine de travailler pour dépenser la moitié ou plus en garde. C'est vraiment compliqué." Aujourd’hui, si Natasha peut travailler, c’est grâce à son amie Valeria, qui s’occupe de son fils durant la pause de midi.
Meilleure organisation des cours
En attendant, Natasha espère poursuivre ses cours à la rentrée scolaire. Elle se réjouit de pouvoir mieux organiser ses cours: "J'ai l'impression que les élèves ne voient pas trop les résultats. Nous n'avons pas fait beaucoup de pages (d'exercices). Ils ont des feuilles volantes qu'ils jettent ou qu'ils oublient. Or, il faudrait avoir un système qui leur permette de voir ce qu'ils ont déjà appris."
La classe d'accueil à Vallorbe n'est d'ailleurs pas près de fermer. De nouvelles arrivées d'enfants ukrainiens sont attendues pour la rentrée d'août. Par ailleurs, la Suisse pourrait accueillir entre 20'000 et 60'000 réfugiés supplémentaires d'ici la fin de l'année, selon le Secrétariat d’Etat aux migrations.
Sujet radio: Céline Fontannaz
Adaptation web: Mathieu Henderson
Plus de 4500 réfugiés ukrainiens dans les classes romandes
A la mi-juin, les cantons romands, dont Berne, comptaient 4155 élèves ukrainiens et ukrainiennes scolarisés au niveau obligatoire, et plus de 400 en post-obligatoire.
Parmi ces jeunes, certains ont été directement intégrés dans des classes ordinaires, avec des cours de français intensifs, alors que d'autres ont été placés en classe d'accueil.
Dans tous les cantons, du personnel enseignant supplémentaire a été engagé. En outre, des enseignants déjà en place ont également augmenté leur pourcentage pour répondre à la demande.
Le canton de Berne, lui, a engagé une trentaine d'instituteurs et institutrices ukrainiens. Cela permet, dans certains cas, de faire la classe également dans la langue d'origine des réfugiés.
Ailleurs en Suisse romande, les cours sont donnés en français uniquement. Cela dans une perspective d'apprentissage de la langue et d'intégration. Par ailleurs, plusieurs départements cantonaux de la formation ont engagé des ressortissants ukrainiens pour l'encadrement et le soutien aux élèves. Et, dans de très rares cas, pour enseigner en français dans des classes d’accueil.