La Suisse, c'est plus de 8 millions d'habitants, quatre langues, une diversité culturelle unique et vingt-six cantons. Comment mieux comprendre cette mosaïque d'Etats dans l'Etat qu'en s'arrêtant sur les personnalités, les symboles et les mythes qui les constituent? La série "Mon canton en trois icônes" vous propose cet été de partir dans 10 d'entre eux à la rencontre de certaines de leurs icônes.
"Mon canton en trois icônes": les personnalités qui font l'histoire de la Suisse
Jura
Charly Corbat, Roland Béguelin et la Petite Gilberte
Pour raconter la richesse, les tourments, le génie mais aussi les travers du canton du Jura, les icônes ne sont pas toujours simples à trouver. Il faut dire qu'à seulement 43 ans, le Jura est le dernier né de la Confédération. Toutefois, en se penchant d'un peu plus près sur sa jeune histoire, quelques personnalités émergent, et pas des moindres.
- Charly Corbat -
Charly Corbat (1929-2018) est un entrepreneur par qui le hockey sur glace jurassien émerge du petit étang dans son village natal. Il fonde le HC Vendlincourt en 1956. Et grâce à la ténacité de ses membres, le club va se hisser en 2e ligue.
Le Jura n’est toujours pas né qu’il inaugure en 1973 le Voyeboeuf, l’antre du HC Vendlincourt qui deviendra ensuite le HC Ajoie, un club qui fédère encore aujourd’hui toute une région. Autant dire que Charly Corbat a laissé une trace indélébile dans la mémoire collective des Jurassiens.
- Roland Béguelin -
Il faut attendre 1974 pour qu’une autre personnalité, Roland Béguelin (1921-1993), marque de son empreinte ce Jura qui trouve en lui l’un de ses pères fondateurs. Le 23 juin 1974 pour être exact est la date à laquelle le peuple jurassien choisit par un vote de se séparer du canton de Berne, après une déclaration enflammée de ce natif de Tramelan qui, de par sa force de conviction, sa détermination et son habileté politique, s'est imposé comme leader incontesté du séparatisme.
Le poète, écrivain et journaliste, par ailleurs membre du parti socialiste, est élu triomphalement à l'Assemblée constituante jurassienne en 1976 où il joue un rôle de premier plan et occupe la fonction de premier vice-président. Il entre ensuite comme député socialiste au Parlement jurassien où il siège de 1979 à 1990 et en devient le premier président.
Il meurt à Delémont le 13 septembre 1993.
- La Petite Gilberte -
"C’est la petite Gilberte, Gilberte de Courgenay, qui a connu 300'000 soldats et tous les officiers". La chanson venue spontanément sous la plume du compositeur Hanns In der Gand a largement contribué à la naissance d’un mythe suisse et jurassien au 20e siècle: celui de la Petite Gilberte.
Fille de restaurateurs à Courgenay, Gilberte Montavon de son vrai nom (1896-1957) devient la mascotte des soldats et officiers mobilisés en Ajoie durant la Première Guerre mondiale. Sa gentillesse, sa bonne humeur et le fait qu'elle connaisse le "schwyzerduetsch" lui permettent de se faire apprécier de ces milliers de militaires alémaniques qui passent par le Jura et fréquentent l'établissement de ses parents.
Fribourg
Jo Siffert, Jean Tinguely et l’abbé Bovet
Quand on demande aux Fribourgeois de nommer trois icônes, Jo Siffert et Jean Tinguely émergent immédiatement. Mais les choses se compliquent lorsqu'il faut sortir un troisième nom, tant ils sont nombreux à pouvoir viser cette dernière marche du podium.
Mathilde Gremaud, la récente médaillée olympique? Julien Sprunger, l’emblématique attaquant de Fribourg Gotteron? L'artiste animateur Hubert Audriaz? Ou la star des années yéyé Arlette Zola? Tous ont droit à leur tour de manège parmi les personnalités fribourgeoises marquantes. Mais ce qui frappe, c’est que la justification passe toujours par les valeurs: simplicité, authenticité et accessibilité.
- Jo Siffert -
Né en 1936 dans une famille modeste, Joseph Siffert, plus communément appelé Jo Siffert, grandit dans la Basse-Ville de Fribourg et n’aime pas trop l’école. Un jour, son père l'emmène au Grand Prix automobile de Berne. C'est la révélation: Jo veut devenir pilote.
Parti de rien, n’ayant pour lui que son talent et sa persévérance, il sait s’imposer dans ce milieu élitiste. A la fois modeste et charismatique, Jo Siffert a marqué l'histoire du sport suisse, devenant sans conteste l'une des icônes les plus saillantes dans la mémoire de son canton. Au point que la plupart des Fribourgeois qui en avaient l’âge se souviennent de ce qu’ils faisaient le jour de sa mort, le 24 octobre 1971 sur le circuit de Brands Hatch en Grande-Bretagne.
>> Redécouvrir le long format de la RTS dédié au pilote automobile : Jo Siffert, une vie à 200 à l'heure
- Jean Tinguely -
Avec Jo Siffert, une autre personnalité indéboulonnable a marqué l'histoire du canton de Fribourg: l’artiste créateur de machines poétiques Jean Tinguely. Ses sculptures sont des totems de l’art contemporain au 20e siècle. Provocateur nonchalant, il est donc l'autre héros populaire sur les bords de la Sarine.
Tinguely et Siffert sont d'ailleurs amis et deviennent les emblèmes des années 1960, une époque où Fribourg sort de sa léthargie et se projette, à travers l’artiste et le champion automobile, vers la modernité.
Syndic de Fribourg durant une décennie, Dominique de Buman explique cette proximité affective. "Ces deux personnalités, d’origine extrêmement modeste, sont restées ce qu’elles étaient. Avec leur originalité, leur modestie et leur non-considération du protocole. Et c’était aussi de ces personnes qui ont vécu à la frontière des langues. On ne savait plus s'ils étaient alémaniques ou romands… Ils étaient des Bolzes."
- L’abbé Bovet -
Comme on l'a dit, de nombreuses personnalités méritent leur place sur la troisième marche du podium des personnalités qui ont marqué Fribourg. Comme la star du yéyé Arlette Zola qui occupe une place à part dans le coeur des gens du canton. Mais pour achever cette sainte trinité fribourgeoise, on va plutôt opter pour le sacré en convoquant l'abbé Bovet.
Né à Sâles dans le district de la Gruyère en 1879 et mort à Clarens (VD) en 1951, ce chef de chœur et compositeur de talent a laissé dans son sillage de nombreuses mélodies chantées encore aujourd'hui partout en Suisse. Parmi elles, il faut citer "Le vieux chalet", certainement l'une des chansons suisses les plus connues dans le monde.
Uri
Guillaume Tell, Emilie Lieberherr et Samih Sawiris
Uri, un petit canton à la grande histoire. Avec ses quelque 37'000 habitants, il est le deuxième canton de Suisse le moins peuplé après Appenzell Rhodes-Intérieures. Uri est replié au cœur des montagnes, mais il est aussi historiquement ouvert. Il a été de tous temps un lieu de passage privilégié, grâce au col, puis au tunnel du Gotthard.
"À Uri, il y a une vraie culture d’accueil", explique Miriam Christen-Zarri, conservatrice du Musée Tell. "On laisse venir les gens, car on est bien conscient que l’on n’a pas toutes les compétences ici." À Uri, pas de doute, on aime les esprits forts et entreprenants. Une ode à la liberté sous toutes ses formes.
- Guillaume Tell -
Berceau de la Suisse primitive, Uri est aussi porteur de l’histoire de la Confédération et de ses mythes. C’est dans ce canton, plus précisément à Bürglen, que serait d'ailleurs né le héros national Guillaume Tell, celui qui a osé s’opposer à Gessler en ne se prosternant pas devant son chapeau.
À Uri, il est un véritable symbole et on ne compte plus les places, les rues, les restaurants et même les bus qui portent son nom. "C’est un personnage qui fait l’identité de notre canton", confirme Heidi Z’Graggen, conseillère aux Etats uranaise. "Il représente la liberté et la lutte pour la liberté. C’est pas seulement quelque chose de typique ici, mais c’est inscrit dans nos cœurs." La conservatrice du Musée à son nom, Miriam Christen-Zarri, le confirme: "On le voit lors des votations, Uri aime bien faire autrement que les autres cantons."
- Emilie Lieberherr -
Les personnalités célébrées par la suite dans le canton portent souvent en elles cet ADN.
Emilie Lieberherr
est née à Erstfeld en 1924. Elle est la première femme à passer sa maturité à Uri. Elle part ensuite pour Berne, où elle mène avec d’autres le combat pour le droit de vote des femmes. En 1972, elle devient la première conseillère municipale en Ville de Zurich, un poste qu’elle occupera pendant 24 ans.
Durant toute sa carrière politique, Emilie Lieberherr ne craint pas le débat. "Je viens vraiment d’une région très montagnarde et très conservatrice", explique-t-elle en 1976 à la radio romande. "Mais déjà là, on est très avancés, on accepte les femmes."
Cette force, elle la tire de ses racines montagnardes, confirme Heidi Z’Graggen, qui connaissait bien la politicienne. "Pour moi, c'est très révélateur que quelqu'un qui vient de notre canton ose prendre position et tenir tête à ses opposants. Emilie Lieberherr est pour moi comme un pendant de Guillaume Tell, dans ce combat pour la liberté des femmes."
- Samih Sawiris -
Figure plus polémique,
Samih Sawiris
n’en demeure pas moins une icône désormais omniprésente à Uri. Le milliardaire égyptien, sacré citoyen d’honneur du canton en 2021, a injecté plus d’un milliard de francs dans la station d’Andermatt et ainsi créé quelques 700 emplois.
"Comme Guillaume Tell, Samih Sawiris est très courageux", confirme Carlo Danioth, chef de piste depuis plus de 30 ans dans la station de ski. "Il a investi beaucoup d'argent dans la région à une période difficile. Les militaires s'en allaient, les places de travail et les jeunes aussi. Samih Sawiris est arrivé et a vu le potentiel."
Cependant, les investissements de Samih Sawiris soulèvent aussi des critiques. Depuis qu’Andermatt a été transformée, les loyers ont massivement augmenté. "C’est clair que le village était plus tranquille avant", admet Carlo Danioth. "Mais de manière générale, c’est certainement mieux aujourd’hui, notamment pour l’avenir des jeunes générations. Ils n’ont plus besoin de quitter le canton pour trouver du travail. Les avantages prennent le pas sur les inconvénients."
Berne
Adolf Ogi, Ursula Andress et Stephan Eicher
Avec plus d’un million d’habitants, le canton de Berne, qui abrite la capitale fédérale, est le deuxième plus grand canton de Suisse. Le bilinguisme allemand/français ainsi que la richesse culturelle et paysagère - entre ville, campagne et montagne - font la fierté de ses habitants. Une diversité citée comme le symbole de l'ouverture de ce canton.
- Adolf Ogi -
Quelques jours après le passage de la tempête Lothar (décembre 1999) qui dévaste les forêts suisses, Adolf Ogi, alors président de la Confédération, présente ses voeux de nouvelle année depuis le village de Kandersteg, où il est né en 1942.
Debout devant l'entrée du tunnel du Lötschberg, il brandit un sapin en déclarant: "Cet arbre a valeur de symbole. Pour nous tous, il résistera aux tempêtes. Comme la Suisse pendant ce siècle. Je le planterai ici au printemps." C'était le 1er janvier 2000 et ces images deviendront cultes.
De l'avis d'Adrian Vatter, politologue à l’université de Berne et auteur d’un livre sur les conseillers fédéraux, Adolf Ogi est l’une des personnalités vivantes les plus populaires du canton de Berne, et même de Suisse.
"C’est un personnage à qui une grande partie de la population peut vraiment s’identifier, car c’est un conseiller fédéral qui vient du peuple, qui plus est, c’est un paysan de montagne. Il n’a pas un parcours académique. Cela montre qu’il est possible de faire une carrière politique peu importe le milieu social d’où l’on vient."
- Ursula Andress -
Des montagnes bernoises enneigées, on passe à une plage de Jamaïque. En 1963, Ursula Andress marque les esprits en incarnant au cinéma la toute première James Bond girl, dans "James Bond 007 contre Dr No". La scène dans laquelle l'actrice née en 1936 à Ostermundigen sort de l'eau, vêtue d'un simple bikini blanc avec un couteau accroché à la ceinture, reste d'ailleurs encore aujourd'hui l'une des plus iconiques de la fameuse saga 007.
Pour conquérir le monde, celle qui a été la compagne de James Dean ou encore de Jean-Paul Belmondo a dû d'abord quitter son Mitelland natal, avec lequel elle garde toutefois un lien très fort. Si elle a tout fait pour effacer son accent, la voix de son personnage dans James Bond a dû néanmoins être doublée par une autre comédienne.
- Stephan Eicher ou Mani Matter? -
La troisième icône du canton de Berne sera musicale. Mais là aussi, le coeur des Bernois balance. Stephan Eicher ou Mani Matter?
Stephan Eicher, c'est plus de 40 ans de carrière. De Münchenbuchsee où il est né en 1960, Stephan Eicher est allé conquérir d'abord l'Allemagne avec le groupe Grauzone puis la France en solo dès les années 1980. Sa voix inimitable et ses chansons en français, anglais, allemand, italien et même en dialecte bernois n’ont cessé d’attirer un large public, en Suisse comme à l’étranger.
Grand admirateur de Georges Brassens, Mani Matter, né à Herzogenbuchsee en 1936, chantait ses textes en dialecte bernois en s'accompagnant généralement seul à la guitare. Malgré son décès en 1972 à l'âge de 36 ans seulement dans un accident de la route, ses chansons vivent toujours et de nombreuses reprises sortent régulièrement en Suisse alémanique où il reste très populaire, mais également en Suisse romande.
Genève
Ruth Dreifuss, Grisélidis Réal et Jean-Jacques Rousseau
Genève n’a pas toujours bonne réputation. Notamment avec ses "Genferei", "un mélange d'inconséquence et de désorganisation, aggravée par le soupçon récurrent d'arrogance", selon les mots de l’écrivain André Klopmann.
Mais Genève, c’est aussi la cité de Calvin, le jet d’eau, les organisations internationales, et plusieurs personnalités qui ont marqué les esprits.
- Ruth Dreifuss -
Ruth Dreifuss, née le 9 janvier 1940 à Saint-Gall, fait ses études en sciences économiques à l'Université de Genève. Après avoir été notamment secrétaire de l'Union syndicale suisse de 1982 à 1993, la socialiste deviendra conseillère fédérale le 3 mars 1993 suite à la candidature de Christiane Brunner, refusée par le camp bourgeois, et à la démission de Francis Matthey. Elle est alors la deuxième femme à entrer au gouvernement fédéral, après Elisabeth Kopp.
Cinq ans plus tard, soit en 1998, Ruth Dreifuss devient la première femme élue à la présidence de la Confédération. Elle est alors en charge du Département de l’intérieur jusqu’à sa démission en 2002. Elle s’occupe notamment de l’introduction de la loi fédérale sur l’assurance-maladie, de la 10e révision de l’AVS et elle œuvre en faveur de la mise en place d’un congé maternité fédéral. En outre, elle milite pour une dépénalisation de tous les stupéfiants.
Elle vit depuis plus de vingt ans dans le quartier des Pâquis.
- Grisélidis Réal -
Outre Ruth Dreifuss, une autre figure genevoise a marqué le quartier des Pâquis. Il s'agit de l’écrivaine, peintre et artiste Grisélidis Réal. Pendant plus de trente ans, celle qui se disait "courtisane révolutionnaire" a recueilli méthodiquement tout ce qui avait trait de près ou de loin aux métiers du sexe, en Suisse et dans le monde. Ces archives sont à disposition du public au Centre Grisélidis Réal.
Née à Lausanne en 1929 dans une famille d'enseignants, Grisélidis Réal est diplômée des Arts décoratifs de Zurich en 1949. Divorcée et mère de quatre enfants, elle s'enfuit avec deux d'entre eux en Allemagne au début des années 1960 aux côtés de son nouveau compagnon. Sans revenus et sans papiers, elle commence à se prostituer pour subvenir à ses besoins. Elle est emprisonnée durant sept mois dans la prison pour femmes de Munich. De retour en Suisse, elle publie en 1974 un récit autobiographique "Le Noir est une couleur". Elle meurt en 2005.
- Jean-Jacques Rousseau -
On ne peut pas parler d'icônes genevoises sans évoquer Jean-Jacques Rousseau. L'écrivain et penseur est né en 1712 à Genève, alors que le canton n’était pas encore entré dans la Confédération helvétique. Ce sera chose faite en 1815.
On peut observer des traces de Rousseau un peu partout dans la ville. Il y a en effet de nombreuses statues à son effigie, une île porte son nom, plusieurs de ses herbiers sont conservés au jardin botanique, et la maison où il est né s’appelle désormais la Maison Rousseau et Littérature (MRL).
Jean-Jacques Rousseau est l’un des écrivains les plus lus de son époque. Dans son ouvrage politique et philosophique, "Du contrat social", publié en 1762, il se demande comment se forment les sociétés. Il fait l’hypothèse qu’à leur fondement, "il y a toujours un pacte social, contracté par tous avec tous, par lequel chacun renonce à sa liberté naturelle pour gagner une liberté civile".
Neuchâtel
Gilbert Facchinetti, la fée verte et Le Corbusier
Au coeur de l'arc jurassien, au bord du plus vaste plan d'eau totalement suisse et partagé entre le haut et le bas, le canton de Neuchâtel et son histoire mouvementée - d’abord comté sous la tutelle de la maison des Orléans-Longueville, puis principauté prussienne à partir de 1707, avec un court intermède français de 1806 à 1813, et enfin canton suisse depuis 1814 - offre lui aussi une étonnante richesse. Et ce n'est pas les icônes choisies pour tenter d'en comprendre les enjeux qui diront le contraire.
- Gilbert Facchinetti -
Gilbert Facchinetti (1936-2018), c'est d'abord une voix reconnaissable entre toutes. "Facchi", comme l'appelaient les Neuchâtelois, devient président du club de football du Xamax FC en 1979, poste qu'il occupe durant plus de vingt ans.
Véritable patriarche, celui qui a été footballeur de talent dans son jeune âge emmène son club à deux titres de champion de Suisse, en 1987 et en 1988. C'est dire s'il a sa place dans la liste des icônes qui ont marqué l'histoire du canton.
Il connaît de nombreux exploits, donc, mais également des drames avec la mort de ses trois filles, ainsi que la descente aux enfers du club de football sous l'ère Bulat Chagaev.
- Le Corbusier -
Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit
Le Corbusier
, naît à La Chaux-de-Fonds en 1887. Il est donc quant à lui un homme du haut du canton de Neuchâtel.
Après avoir fait ses études de graveur-ciseleur et de décorateur à L'École d’art de La Chaux-de-Fonds, il effectue plusieurs voyages d’études et deux stages à Paris et à Berlin. Architecte autodidacte, il réalise sa première création, la Villa Faller (1905-1907), dans sa ville natale, première de plusieurs autres édifices construits à La Chaux-de-Fonds.
Devenu Français par la suite, cet architecte de génie, aussi urbaniste et artiste, a profondément marqué l'architecture du 20e siècle. Il est connu aujourd'hui pour être le père de l'architecture moderne.
Le Corbusier, "Le Corbu" pour ses collègues, décède au cours d'une baignade dans la Méditerranée le 27 août 1965 à Cap Martin, où il avait construit son cabanon en 1952.
Son oeuvre architecturale regroupe 17 sites classés au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 2016. Il laisse notamment à la Métropole horlogère dans laquelle il a grandi la Villa Turque ou la Maison blanche.
- La fée verte -
Troisième icône du canton de Neuchâtel, la fée verte, surnom que l'on donne à l'absinthe née dans le Val-de-Travers au milieu du 18e siècle, était connue pour avoir comme vertu de soigner les maux et d'envoûter ceux qui la buvaient. De nombreux d'artistes - de Verlaine à Rimbaud, en passant par Van Gogh, ou Gauguin - ont d'ailleurs succombé à ses charmes et ont fait de l'absinthe un mythe aux pouvoirs étranges et sulfureux.
Interdite pendant près de cent ans, mais distillée en cachette au fond des caves du canton, la fée verte est sortie de l'ombre le 1er mars 2005 avec sa légalisation. Aujourd'hui, une vingtaine de micro-distilleries en produisent dans la vallée.
Argovie
Dj Bobo, Doris Leuthard et le Dr. Bircher
Situé au nord du pays, entre Bâle, Soleure, Lucerne, Zoug et Zurich, le canton d'Argovie est l'un des plus peuplés de Suisse avec presque 700'000 habitants. S'il a été le berceau des Habsbourg ainsi qu'un carrefour de cultures, il est fameux aujourd'hui surtout pour ses autoroutes et ses centrales nucléaires, ou son célèbre gâteau aux carottes.
Mais à côté de ces clichés, peu de gens savent que les Argoviens ont aussi offert à la Suisse et au monde des personnalités pour le moins originales et diverses.
- Dj Bobo -
Tout le monde a sûrement dansé au moins une fois sur le tube "Chihuahua" de Dj Bobo, alias René Baumann. Né en 1968 à Kölliken, le chanteur-compositeur connaît un succès planétaire dans les années 1990 et 2000, révolutionnant les soirées du monde entier.
Et ce n'est pas Peter Stutz, responsable musical de la chaîne Radio Argovia, qui dira le contraire. Selon lui, Dj Bobo, qu'il suit depuis des années, est une véritable icône pour les Argoviens.
"Indiscutablement, il a marqué l'histoire récente du canton. En important les codes culturels de la musique américaine, mais aussi parce qu'il a su rester très simple, très proche des gens. Il est vraiment un des nôtres. Sûrement parce qu'il vient d'un petit village, qu'il a grandi dans une ferme. C'est ce qui fait qu'il soit resté les pieds sur terre malgré son succès. Et ça, les Argoviens apprécient."
- Doris Leuthard -
Femme d'envergure et grande dame de la politique suisse, Doris Leuthard va se faire connaître quelques années plus tard. Elle deviendra par la force des choses au fil des années une véritable icône dans son canton.
Conseillère fédérale de 2006 à 2018, cette native de Merenschwand qui est en charge du Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC) est pendant des années la politicienne préférée des Suisses. Elle est notamment connue pour sa jovialité et sa bonne humeur. Certains se souviennent certainement de son fou rire lorsqu'elle a répondu à une interpellation d'un conseiller national UDC en 2010 sur la contribution de la Confédération aux épreuves d'équitation gymkhana.
Concernant son bilan politique, c'est une autre histoire. Maurice Velati, chef du bureau de la radio SRF à Aarau et fin connaisseur de la vie politique argovienne, rappelle en effet que la démocrate-chrétienne n'a pas toujours fait l'unanimité dans son canton. "Elle était très charmante, elle était très connue, elle avait du succès. Elle a su rester populaire, même si les Argoviens n'ont pas apprécié sa politique de sortie du nucléaire dès 2011. Car les Argoviens, ils aiment les centrales nucléaires."
- Dr. Bircher -
A moins que la véritable icône du canton d'Argovie ne soit le Bircher Müesli, ou plutôt son inventeur le
Dr. Bircher
? Né en 1867 à Aarau où il grandit, Max Bircher-Benner fait carrière à Zurich.
Pour savoir si l'histoire de ce nutritionniste visionnaire est encore connue des Argoviens, direction le tea-room Brändli, une institution plus que centenaire et célèbre pour ses bombes au chocolat, les "Brändli Bombe". Bien évidemment, on y sert aussi du Müesli.
"Les Argoviens savent que Max Bircher était un médecin très réputé en son temps, à la fin du 19ème siècle. Et qu'il a mis au point cette recette du Bircher-Müesli. Mais ils ignorent souvent tout de son histoire, et de sa philosophie", indique Mark Brändli, dont les aïeux ont connu Max Bircher.
Pour Maurice Velati, chef du bureau de la radio SRF à Aarau et fin connaisseur de la vie politique argovienne, Max Bircher, davantage connu comme Zurichois que comme Argovien, est en ce sens à l'image du canton d'Argovie. "Il faut le quitter pour rencontrer le succès."
Vaud
Franz Weber, Yvette Jaggi et Frédy Girardet
Du canton de Vaud, on retient souvent le "bon sens", les fédérations sportives, le Léman ou le chasselas. Mais quand il s’agit de citer des personnalités incontournables qui incarnent ce bout de pays, personne ne fait l’unanimité, pas même le Major Davel.
- Franz Weber -
Il s'agit sans doute d'un choix controversé tant cet infatigable défenseur de la nature et pionnier de l’écologie a marqué par ses coups d’éclat et son caractère bien trempé. Le Bâlois Franz Weber (1927-2019) est arrivé dans le canton de Vaud autour des années 1970, lorsque les vignes de Lavaux risquaient d’être défigurées par un projet immobilier. Il ne s’est pas fait que des amis.
"Il avait un côté dictatorial, très individualiste", se souvient Henri Chollet, vigneron à Villette. "Je le trouvais prétentieux avec sa façon de faire croire qu’il détenait la vérité. C’était quasiment un prophète."
Franz Weber lance en 1973 l’initiative populaire "Sauvez Lavaux". Accepté quatre ans plus tard en votation populaire, le texte introduit dans la Constitution vaudoise la protection du territoire complet de Lavaux. Le site sera ensuite inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco.
"C’est une icône vaudoise, sans aucun doute, mais pas pour tout le monde", observe Henri Chollet. "Franz Weber intervenait sans nuances, ce qui n’était pas dans l’esprit local. Au contraire, le Vaudois est très prudent, et Weber a fait sauter beaucoup de codes."
- Frédy Girardet -
Né en 1936 à Lausanne, le chef Frédy Girardet a lui aussi fait sauter les codes, mais de façon plus ronde, plus vaudoise. Le cuisinier voulait initier les Vaudois aux nouvelles saveurs "sans les bousculer", disait-il.
Pour Knut Schwander, responsable du guide Gault & Millau en Suisse romande, le chef est incontestablement une icône: "C’est l’un des pères fondateurs de la grande gastronomie suisse d’aujourd’hui. Frédy Girardet est extrêmement respectueux de la cuisine classique, et en même temps, c’est lui qui a permis à la cuisine d’évoluer, de s’alléger, de se centrer sur les produits." Et de conclure: "Je pense que l’on retrouve sa vision dans les meilleures tables du pays aujourd’hui encore."
En 1989, alors que les célébrités affluent dans son restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier, le Vaudois est même élu "cuisinier du siècle" par le Gault & Millau. Aujourd'hui à la retraite, Frédy Girardet a formé des générations de grands chefs encore actifs aujourd’hui.
- Yvette Jaggi -
Toute première femme élue, le 26 novembre 1989, syndique de la Ville de Lausanne, Yvette Jaggi a brillé quant à elle sur la scène politique. A l’époque, alors que les hommes régnaient en maîtres dans les parlements et les exécutifs et le Parti radical sur le canton de Vaud, cette pionnière a su s'imposer et marquer les esprits. La socialiste en a d'ailleurs inspiré une autre, soit la conseillère nationale Ada Marra: "Des femmes aussi intelligentes, aussi capables, aussi sûres d’elles, à la fin des années 1980, c’était sûrement un ovni!"
Yvette Jaggi a également eu une carrière fédérale, au Conseil national puis aux Etats (1979-1991). Elle a aussi présidé Pro Helvetia.
Elle a toujours préféré privilégié le fond à la forme. Elle regrettera d’ailleurs les commentaires superficiels sur les femmes politiques. "Pourquoi occulte-t-on le fond pour se contenter de commenter la forme, quand il s’agit d’une femme? Je trouve cela agaçant et d’une certaine manière humiliant", dira-t-elle.
Pour Ada Marra, "Yvette Jaggi est une icône au parti socialiste, une icône à Lausanne et une icône vaudoise, malgré elle. En bien ou en mal, on l’a aimée ou on ne l’a pas aimée, mais c’est une figure marquante."
Tessin
Ignazio Cassis, Mario Botta, Dimitri et Carla del Ponte
Le Tessin, connu pour ses lacs, ses grotti où l'on mange les costine ou les luganighette, ou encore pour sa douceur de vivre légendaire, est également vu comme le canton où les gens parlent beaucoup, et parfois même avec les mains. Les Tessinois sont également connus pour leur sens de l’image, de la répartie et de la controverse. Une richesse qui mérite que l'on s'y attarde un peu plus en présentant non pas trois, mais quatre icônes.
- Ignazio Cassis -
Ignazio Cassis est incontestablement la personnalité tessinoise dont on parle le plus actuellement. Au début du mois de juillet, le politicien, né en 1961 à Sessa, à deux pas de la frontière italienne, mettait son canton sur la carte du monde en recevant à Lugano la conférence sur la reconstruction de l'Ukraine.
Mais dans les rues de son canton, on comprend vite qu'Ignazio Cassis ne fait malgré tout pas l'unanimité, comme le confirme un badaud croisé à Locarno. "Je ne crois pas beaucoup en lui, mais il représente bien la Suisse italienne."
Gian Paolo Driussi, journaliste parlementaire à la radio suisse italienne (RSI), semble d'ailleurs avoir trouvé les mots justes pour expliquer comment le conseiller fédéral et président de la Confédération est perçu au Tessin. "Les Tessinois ont une grande sensibilité. C’est l'histoire du canton qui veut ça: la frontière politique est au sud du canton, la frontière culturelle et linguistique au nord. Et donc ça fait partie de notre nature: il faut toujours se méfier de quelqu’un."
- Mario Botta -
Très connu également, l'architecte tessinois Mario Botta, né à Mendrisio en 1943, polarise lui aussi. D'ailleurs, pour le journaliste de la RSI Gian Paolo Driussi, il y a un lien à tirer entre les œuvres politiques de Cassis et les œuvres architecturales de Botta; elles divisent toutes les deux.
"Le casino de Campione d’Italia, l’enclave italienne au Tessin, c’est un 'pugno nell’occhio', un 'poing dans l’oeil' en français, car il fait mal aux yeux", illustre-t-il. Au point que treize ans après l’avoir construit, Mario Botta dira de sa propre création que c’est une "mocheté".
- Dimitri -
En revanche - et c’est incontesté -, Dimitri est très aimé au Tessin. Célèbre pour son personnage de clown poétique, Dimitri Jakob Müller, de son vrai nom, naît en 1935 à Ascona et meurt à Borgogne en 2016. C'est à l'âge de sept ans qu'il décide de devenir clown. Durant un apprentissage de potier, il prend des cours d'art dramatique, de musique, de ballet et d'acrobatie.
Il crée plusieurs institutions artistiques reconnues au Tessin, comme une école de clown, de mime et d'acrobatie.
Selon Dominique Vuigner, président du musée en plein air Swissminiature à Melide, "Monsieur Dimitri, on ne peut que l’aimer et c’est tout. Tous les Tessinois vous le diront. Je n’ai jamais entendu dire du mal de Dimitri. C’est peut-être l’un des seuls au Tessin à avoir cet honneur."
- Carla del Ponte -
Née en 1947 à Bignasco, Carla del Ponte, elle aussi, est très admirée dans son canton pour avoir tenté de punir les crimes du monde, même au lendemain de la mort de son accusé le plus connu, le serbe Slobodan Milosevic.
"Elle a fait un grand boulot. Elle a un courage incroyable. Ce qu’elle a commencé, elle l’a terminé. Personne ne l’arrête, et elle ne s’arrête devant personne. C’est l’orgueil du Tessin", dira d’elle Dominique Vuigner.
Valais
Maurice Chappaz, Gabrielle Nanchen et Souris
Le Valais ne se résume pas uniquement à ses clichés, comme le fendant, la raclette, le ski ou Christian Constantin. Les trois icônes choisies ici démontrent que le canton alpin, c'est également de la poésie, des personnalités politiques d'exception et une reine.
- Maurice Chappaz -
Poète écrivain, amoureux du Valais, Maurice Chappaz (1916-2009) n’a pas hésité à émettre des critiques parfois acerbes sur son canton. "Je le vois comme un lanceur d’alerte. Il a une forme d’attachement qui lui dicte de ne pas trop écouter l’avis des autres", souligne Pierre-François Mettan, ancien professeur de français.
Ses prises de positions tranchées, notamment contre l'avidité des promoteurs, qu'il accuse d'avoir saccagé la montagne et les paysages vierges de son enfance pour en faire de vastes terrains de jeu, lui ont valu de vives critiques, mais aussi des soutiens inattendus.
Des "Verdures de la nuit" aux "Maquereaux des Cimes blanches", Maurice Chappaz a écrit pendant plus de 60 ans, notamment sur le Valais. "Il a mis la vallée du Rhône en image, sans clichés. Je dirais que sa langue n’est jamais convenue", résume Pierre-François Mettan.
- Gabrielle Nanchen -
Née en 1943 à Aigle, dans le Chablais vaudois, Gabrielle Nanchen émigre en Valais après avoir rencontré celui qui deviendra son mari. Domiciliée à Icogne, la socialiste fait son entrée au Conseil national en 1971. Elle est alors la plus jeune des onze premières élues au Parlement, à seulement 28 ans.
"Gabrielle Nanchen, bien qu’attaquée, donnait l’impression de n’avoir pas besoin de faire trop d’efforts, alors qu’elle a dû en faire beaucoup", explique Liliane Varone, ancienne journaliste. Ses combats: le droit à l'avortement et la politique familiale, pour mieux préserver notamment les droits des mères.
Après avoir passé huit ans sous la Coupole fédérale, elle renonce à briguer un nouveau mandat pour s’occuper de sa famille. "Gabrielle Nanchen a su s’imposer avec charme et en conciliant ses rôles de maman et de politicienne", conclut Liliane Varone.
- Souris -
Sacrée trois années consécutives reine cantonale, Souris est considérée comme la meilleure combattante de l’histoire de la race des vaches d’Hérens.
"Souris avait du génie stratégique et était très complice avec sa patronne, Marie-José. Souris se battait pour faire plaisir à sa patronne", raconte l'ancienne journaliste Liliane Varone. Après sa mort, Souris a été naturalisée et se trouve maintenant au Musée cantonal d’histoire naturelle de Sion.
Crédits
Sujets radio:
Gaël Klein pour le Jura, Xavier Alonso pour Fribourg, Joëlle Cachin pour Uri, Célia Bertholet pour Berne, Pauline Rappaz pour Genève, Romain Bardet pour Neuchâtel, Delphine Gendre pour l'Argovie, Martine Clerc pour Vaud, Murielle Ballaman pour le Tessin, Gabriela Cabré pour le Valais
Adaptation pour le web:
Fabien Grenon