Le terme "d'îlot de chaleur urbain" (abrégé ICU en anglais) réapparaît désormais chaque été, souvent d'ailleurs quand, comme cette semaine, la canicule fait son grand retour. Qu'on ne s'y trompe pas, on ne parle pas ici d'un archipel paradisiaque. Bien au contraire.
Le terme décrit en réalité la différence de température entre l'air de la ville, plus chaud, et la campagne, plus frais - une bulle de chaleur en quelque sorte. Et la différence qui peut atteindre de 5 à 7 degrés.
Comment expliquer ce phénomène? En ville, où l'asphalte est roi, les surfaces souvent imperméables emmagasinent l'énergie solaire. Et pendant la nuit, les bâtiments et routes en bitume relâchent dans l'air cette chaleur accumulée. A la campagne, au contraire, cette "'évapotranspiration" s'arrête la nuit. En ville, cette restitution de chaleur en soirée empêche l'air de se refroidir.
Un phénomène qui va de pair avec la multiplication des nuits tropicales, soit une température qui ne descend pas en dessous de 20 degrés. Dans la nuit de mercredi à jeudi, de nombreuses villes comme Neuchâtel, Vevey, ou encore Zurich ont été concernées.
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Les premiers à souffrir des effets indésirables des températures élevées sont les citadins, en particulier les personnes agées, qui risquent les coups de chaleur et la déshydratation.
Quartiers moins bien lotis
Pourtant, même en ville, certains sont moins chanceux que d'autres. L'effet des îlots de chaleur est ainsi plus important dans les zones avec une densité bâtie importante et moins d'espaces verts, notamment.
A Genève, les quartiers des Pâquis, de Plainpalais, des Eaux-vives ou encore de Pont-Rouge sont particulièrement concernés, comme le montre une carte interactive du Système d'information du territoire à Genève (SITG).
Plus généralement, les gares des grandes métropoles comme Genève, Lausanne, ou Zurich, deviennent de vraies fournaises en été. Pourtant, ce n'est pas une fatalité, tempère Martine Rebetez, climatologue et professeure à l'Université de Neuchâtel. Les vraies fautives "ce sont souvent les routes qui entourent ces gares", précise-t-elle. "Une gare très végétalisée" sera beaucoup moins soumise à l'effet îlot de chaleur.
Le mieux pour générer de la fraîcheur reste encore "une forêt urbaine avec de la végétation au sol et de hauts feuillus, de manière à créer une canopée continue", ajoute la spécialiste.
Mais pour qu'un un réel impact se fasse sentir sur la température des immeubles environnants, ces "espaces de végétation doivent être grands".
A Zurich, une cartographie détaillée de la chaleur existe aussi depuis 2017 grâce à des recherches de l'Empa, le laboratoire d'essais des matériaux et de recherche.
Résultat: le centre-ville, à forte densité, et la gare constituent deux "points chauds" alors que les températures restent plus fraîches près des rives du lac, le long de la Limmat, et sur les pentes du Züriberg, où l'air frais descend de hauteurs plus élevées pendant la nuit.
Une ville bien ventilée
La morphologie d'une ville a toute son importance dans la formation de ces bulles de chaleur. Ainsi, les bâtiments orientés "de telle manière que l'air ne circule pas" sont particulièrement concernés, explique Martine Rebetez.
A Neuchâtel, où elle enseigne, les rues avec " une ouverture côté montagne" se rafraîchissent généralement plus que les autres. "La nuit, il faut que l'air puisse circuler depuis la montagne pour créer une bise descendante de froid", explique la climatologue.
L'eau a aussi son rôle à jouer pour baisser les températures, grâce à son pouvoir d'évaporation. Un effet d'autant plus fort si l'eau est mouvante, comme pour une rivière, avec plus d'échanges entre les couches froides et l'air chaud.
Le lac devrait, logiquement, être un excellent allié. "Oui, les lacs apportent du frais en journée, mais ils chauffent l'air la nuit" - la température de l'eau étant plus chaude que celle de l'air à ce moment-là.
Quelles solutions?
Les Municipalités commencent, surtout ces dernières années, à se saisir du problème "îlot de chaleur" et à mettre en place des solutions.
A Zurich, un brumisateur géant a par exemple vu le jour récemment. Dès que le thermomètre passe la barre des 30 degrés, il asperge de particules fines la Turbinenplatz, l'une des plus grandes places de la ville. Résultat: les passants peuvent profiter d'une baisse jusqu'à 10 degrés à cet endroit, le tout sans se faire mouiller.
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A Genève, on mise beaucoup sur la végétation, l'objectif étant de faire passer la surface couverte par la canopée de 21 à 30% d'ici 2050, avec au moins 25% en 2030. Au cours de l'hiver 2020-2022, la Ville a notamment planté 900 arbres, un rythme qui devra être tenu, voire accéléré, indique-t-elle dans un document technique datant de février.
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Les habitants du bout du lac restent pourtant très inégaux. A Florissant, le deuxième quartier aux revenus les plus élevés de la commune de Genève, plus de 30% du territoire est sous les feuillages.
Aux Pâquis, par contre, où le revenu médian est bien plus bas, la canopée couvre à peine 5% de la zone. Un chiffre ressorti par les militants qui, en juin dernier, se sont attaqués à une portion de parking dans ce même quartier, lassés d'attendre des mesures de végétalisation depuis des années.
A Sion, la Ville fait figure de pionnière en multipliant les aménagements végétaux et aquatiques dès 2014. En 2020, elle testait la pose d'un asphalte plus clair sur un tronçon routier dans le cadre du programme fédéral Adaptation aux changements climatiques. Ce programme pilote, qui regroupe une cinquantaine d'initiatives, est en plein dans sa deuxième phase.
En plus de protéger sa population contre les effets des chaleurs extrêmes sur la santé, les villes vont devoir mettre sur pied différentes mesures d'urbanisme, d'architecture, de gestions des espaces verts et des routes pour s'attaquer au problème dans son ensemble.
Enjeu de santé publique
Martine Rebetez préconise notamment de "végétaliser tout ce qui est possible", comme les toits, ce qui permet à la fois de baisser la température de l'air et du bâtiment en lui-même. "Il faudrait également rénover les habitations pour qu'elles soient bien isolées et produisent leur propre énergie", ajoute la scientifique.
L'enjeu est de taille. MeteoSuisse a établi différents scénarios climatiques pour les décennies à venir. Il en ressort que les périodes de chaleurs seront toujours plus longues et plus intenses, et probablement toujours aussi mortelles. En 2003, lors de la canicule, la mortalité a grimpé de 7%, soit 975 décès en plus.
Depuis 2015, les vagues de chaleur sont même classées par l'Office fédéral de la protection de la population (OFPP) comme l'une des plus grandes menaces en termes de dangers naturels pour la Suisse.
Doreen Enssle