Selon une étude de l’EPFZ publiée fin juin, les plus fortes augmentations de consommation en Suisse concernent des opioïdes forts, notamment l'oxycodone qui est l'un des moteurs de la crise des opioïdes qui touche les Etats-Unis.
Ainsi, entre 2000 et 2019, le nombre d'appels d'urgence pour des intoxications aux opioïdes a augmenté de 177%. Dans le même temps, les ventes de ces analgésiques ont progressé de 91%.
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Comment expliquer cette tendance et que dit-elle de notre société? "On doit prendre en compte tous ces facteurs pour comprendre la consommation de substances psychoactives dans une société. On peut dire qu'on vit dans une société addictogène", explique Camille Robert, co-secrétaire du Groupement Romand d’Etudes des Addictions (GREA), invitée mardi de La Matinale de la RTS.
"Le système nous pousse à la consommation"
Un autre concept utilisé par le GREA est ce que l'on appelle le capitalisme limbique: "On vit dans une société où tout notre système économique nous pousse à la consommation parce que le client dépendant d'un produit est un client qui va rapporter beaucoup d'argent", souligne-t-elle.
L’attention face à la crise des opioïdes se porte surtout sur les Etats-Unis, d'où tout est parti dans les années 1990. Un nouveau record de 107'000 décès par overdose a été atteint en 2021 (15% de plus qu'en 2020).
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On constate aussi l’émergence d’une crise ces vingt dernières années en Europe. "L'industrie pharmaceutique a déployé des moyens énormes pour convaincre les médecins qu'il fallait absolument prescrire ces pilules", souligne Camille Robert.
La Suisse au 7e rang mondial
Et la hausse de la prescription et de la consommation d'opioïdes se constate aussi en Suisse, qui figure au 7e rang mondial de la consommation par habitant", précise-t-elle. "La prescription a été multipliée par vingt entre les années 1980 et 2010".
Mais les causes sont difficiles à diagnostiquer. "Est-ce une question de facilité de prescription? Est-ce qu'on prend mieux en charge la douleur aujourd'hui? Est-ce que les gens ont plus mal? Est-ce lié aux programme de substitution à l'héroïne par des produits comme la méthadone?", s'interroge la co-secrétaire du groupement. "C'est certainement un peu tout ça".
"Et aujourd'hui, le fentanyl, produit en Chine, arrive aux Etats-Unis", s'inquiète la responsable du GREA. "C'est une substance 50 fois plus forte que l'héroïne, et son commerce illégal permet de maximiser les profits tout en minimisant les risques".
Passation de témoin au GREA
Camille Robert a repris le secrétariat du GREA avec son collègue Romain Bach le 1er juillet dernier, après le départ de Jean-Félix Savary qui occupait ce poste depuis 17 ans.
Le groupement promeut depuis les années 1960 les savoirs dans le domaine des addictions. Il mène des actions de lutte contre l’usage et la dépendance aux drogues et à l'alcool.
Propos recueillis par Aleksandra Planinic
L'approche biopsychosociale du GREA
"Au GREA, on est pour une compréhension que l'on appelle biopsychosociale des addictions et de la consommation de substances", a expliqué Camille Robert.
- Bio = tout ce qui est physiologique, donc en relation avec le corps. Dans le cadre des opioïdes, on peut évoquer la question de la douleur.
- Psycho = le parcours de vie, les antécédents familiaux, de possibles maltraitances, l'état de santé mental.
- Social = l'environnement dans lequel la personne évolue. C'est une dimension très importante pour la compréhension des addictions".
Opioïde ou opiacé?
Les opiacés sont les substances qui proviennent de la fleur de pavot et de l'opium, notamment la morphine et l'héroïne.
"Les opioïdes sont toutes les substances qui s'apparentent à la même famille, mais qui sont produites également de façon synthétique", rappelle Camille Robert. "Tous les opiacés sont des opioïdes, donc on peut utiliser plutôt ce terme-là".
Ce sont des substances qui, toutes, vont aller se fixer sur un récepteur dans le cerveau. "Et c'est là que l'on peut agir sur le stress ou la douleur notamment. Les substances opioïdes ont un effet analgésique et relaxant".