A quelques mois de la Coupe du monde de football, en novembre au Qatar, les entreprises de paris sportifs se frottent déjà les mains. Cet événement est en effet la garantie d'une affluence record sur leurs sites internet.
Et nombre de ces plateformes sont accessibles depuis la Suisse, alors qu'elles y sont illégales, indique dimanche une enquête de l'émission Mise au Point. Des sites étrangers basés à Malte ou aux îles Caïmans visent tout spécifiquement les clientes et clients helvétiques.
Un changement de loi salué comme une réussite
Pourtant, en Suisse, seuls la Loterie romande et Swissloto sont autorisés à offrir des paris. Ces deux sociétés sont d'utilité publique, car elles reversent leurs bénéfices aux associations sportives et culturelles du pays. Tout organisateur de site étranger qui enfreindrait cette règle risque jusqu'à 3 ans de prison, selon l'article 130 de la loi sur les jeux d'argent (LJAr).
Depuis le changement de législation en 2019, de nouvelles dispositions sont entrées en vigueur, notamment le blocage technique de sites étrangers de paris non-autorisés. Officiellement, ce durcissement est un succès: près de 180 noms de domaines ont été bloqués et les plus gros sites de jeux étrangers comme Winamax ou Betclic sont inaccessibles depuis la Suisse.
En mai, trois sites étrangers ont également perdu leur procès au Tribunal fédéral. Ils faisaient recours contre les mesures de blocage en se prévalant de la liberté économique.
Un succès trompeur, selon les joueurs
Mais ce succès est trompeur de l'avis des joueurs, à l'image de JB, qui a perdu des centaines de milliers de francs dans les paris sportifs. "Le blocage est inexistant. Les anciens sites étrangers sont toujours accessibles et il y a sans cesse de nouvelles offres. La publicité est partout sur les réseaux sociaux et sur internet", constate le joueur, interrogé dans Mise au Point.
En effet, des grandes plateformes comme Bahigo ou Solobet sont accessibles depuis la Suisse en toute illégalité. Mise au Point a tenté l'expérience et a pu, depuis la Suisse et avec des papiers d'identité suisses, s'inscrire et parier sur une dizaine de sites.
L'autorité intercantonale de surveillance des jeux d'argent, la GESPA, est chargée de mettre en œuvre l'interdiction. Elle réfute tout manquement: "C'est un jeu du chat et de la souris. Ces sites ont des stratégies pour contourner la loi. C'est difficile de pouvoir les stopper. Il faut du temps pour bloquer un site."
Les souris ne sont toutefois pas si malines que cela. Leur stratégie est très simple et facile à anticiper. Tous les trois mois, ces sites modifient légèrement leur adresse internet. Par exemple le site Solobet1.com change son adresse web: Solobet1, Solobet2, Solobet3… Chaque mois apparaît un nouveau numéro et ainsi le site reste accessible pour les parieurs. Actuellement, l'adresse est Solobet16.com. Contactés, les dirigeants du site n'ont pas souhaité répondre aux questions de la RTS.
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Des intermédiaires pour contourner la loi
Pour faire la publicité en Suisse de ces sites illégaux, on passe également par des tipsers. Ces personnes prodiguent des conseils gratuits sur les résultats des matchs et gagnent de l'argent grâce à la publicité qu'elles font pour des sites de paris interdits.
En Suisse, Mighty Tips est un des plus actifs sur le web. Des pages entières sont dédiées à la clientèle suisse et le site propose ouvertement de contourner la loi suisse. Cette entreprise, basée en Lettonie, a accepté de répondre aux questions de Mise au Point par téléphone. Elle explique ne pas être au courant de la loi suisse et précise n'avoir jamais été contactée par les autorités suisses. Mighty Tips s'est dans la foulée engagée à supprimer ses contenues ciblés pour le public suisse.
Théoriquement, cette entreprise risque gros, jusqu'à 500'000 francs d'amende pour ces publicités illégale, selon l'article 131 de la LJAr.
Evolution de la loi
Au printemps, la Confédération a annoncé le lancement d'une évolution de la loi de 2019 sur le jeu d'argent. Les mesures de blocage et la publicité pour les paris sportifs seront analysées.
En attendant les résultats de l'enquête du Département fédéral de justice et police, de nombreux sites étrangers et des tipsers continuent à enfreindre la loi en toute impunité.
François Ruchti/boi