Sur le chemin de l'école, les nouvelles technologies de traçage des enfants posent question
Officiellement, on parle de "nouvelles technologies pour rendre le chemin de l'école plus sûr". C'est ainsi que les développeurs présentent ces solutions achetées par certains transporteurs scolaires.
À Bourg-en-Lavaux par exemple, 60 élèves de 1H et 2H (4-6 ans) sont, depuis lundi, dotés d'office de ces petites puces connectées. C'est le résultat d'une discussion menée entre les autorités de la commune, l'entreprise de transport et l'association des parents d'élèves pour clarifier les responsabilités de chacun sur le chemin de l'école.
Concrètement, ce système de traçage se présente sous la forme d'un badge lié individuellement à chaque enfant et placé dans leur sautoir jaune de sécurité du TCS. "Le badge fonctionne uniquement quand l'enfant entre dans le bus. Quand il passe la porte, le badge est capté par le véhicule", explique Grégoire Dupasquier, garagiste et transporteur scolaire, mardi dans La Matinale.
De cette manière, si un enfant n'est pas présent dans le bus ou sort au mauvais arrêt, le transporteur peut renseigner l'école ou les parents. Mais le traçage s'arrête automatiquement lorsque l'enfant sort du véhicule.
"Filet de sécurité"
D'après Grégoire Dupasquier, ces solutions permettent d'épargner au chauffeur un travail contraignant en plus de la sécurité routière. "En enlevant le facteur humain, on a une fiabilité qu'on voulait vraiment", dit-il. "Sans aller trop loin dans l'intrusion, on voulait avoir quelque chose de facile d'utilisation et surtout qui ne demande rien à faire à l'enfant."
Le dispositif est mis en place par défaut. Les parents qui le refusent doivent en faire la demande. À Bourg-en-Lavaux, une dizaine l'ont déjà faite. A contrario, ceux qui veulent équiper leurs enfants plus âgés peuvent aussi le demander.
Membre du comité de l'association des parents, Fiona Rossi Cavin est mitigée. Elle salue la volonté de mettre en place un "filet de sécurité" pour les élèves. En revanche, le traçage des données pose question. "Et c'est un outil supplémentaire, parmi d'autres déjà proposés, qui ne va pas remplacer la responsabilité de l'humain", souligne-t-elle. Même si, de manière générale, elle rappelle qu'il y a "peu d'incidents".
Dynamique internationale
D'autres modèles et technologies de contrôle du chemin de l'école existent en Suisse (voir encadré). Selon l'Association vaudoise des parents d'élèves, plusieurs communes ont adopté pareils systèmes pour répondre aux inquiétudes. En particulier pour les plus jeunes filles et garçons qui descendent au mauvais arrêt et se perdent parfois en chemin.
Si ces nouveaux dispositifs peuvent rassurer les parents inquiets, ils devraient être utilisés avec parcimonie, prévient la spécialiste des droits de l'enfant Zoe Moody. D'une part, parce que les enfants ont droit à la protection de la vie privée. "Mais ils ont aussi le droit d'être protégés contre les dangers. Ces deux droits sont en tension", note-t-elle.
D'après cette collaboratrice scientifique au Centre interfacultaire en droits de l'enfant de l'Université de Genève, qui a notamment étudié spécifiquement l'évolution du chemin de l'école, ces évolutions en Suisse s'inscrivent dans une dynamique internationale qui n'est pas nouvelle. "C'est une manière de répondre aux inquiétudes des parents."
Restreindre un espace d'apprentissage
Mais le fait de cadrer toujours plus le chemin de l'école, qui reste un espace de liberté pour les enfants, peut avoir des effets néfastes sur le développement de l'autonomie des enfants. "C'est dommage de ne pas aller davantage dans les apprentissages", déplore-t-elle. En utilisant ainsi la technologie, "on enlève des opportunités d'apprentissage qui sont pourtant appréciées par les enfants".
Cela ne veut pas dire qu'ils n'auront pas la possibilité d'apprendre par la suite, précise-t-elle. "Mais certains travaux soulignent que ces interventions sur les espaces de liberté, notamment le chemin de l'école, pourraient créer une génération moins bien équipée à gérer l'espace public."
Cela ne signifie pas que tous les usages de la technologie pour encadrer et sécuriser les trajets des enfants soient à jeter. "Il est préférable de parler d'interaction humain-machine, et pas uniquement d'intrusion du numérique", souligne encore Zoe Moody. Selon elle, tout l'enjeu est de ne pas remplacer l'humain: "Il ne faut pas que le chauffeur de bus ne reconnaisse plus les enfants ou que les enfants ne soient plus capables de s'entraider. Mais si on a cette réflexion là autour, il me semble qu'on peut éviter de gros travers de ces dispositifs."
Julie Rausis/jop
D'autres dispositifs lancés en Suisse
À Ecublens, dans l'ouest lausannois, une startup développe une solution informatique qui permet aux chauffeurs de valider l'entrée et la sortie des élèves sur une tablette. Ce dispositif-là permet également aux parents de suivre en temps réel, sur leur téléphone portable, le trajet en bus de leur bambin.
Les données sont cryptées et stockées en Suisse. Parmi les clients, on trouve plusieurs écoles privées et un autocariste qui délivre des services de transport scolaire dans les cantons de Genève, Fribourg, Neuchâtel, Jura et Vaud.
Outre-Sarine, la ville de Kriens (LU) a également décidé d'équiper 160 élèves de traceurs GPS, révélait lundi la NZZ. Dans ce cas, l'objectif est plutôt de mieux "cartographier" le chemin de l’école afin de repérer les passages dangereux empruntés par les enfants, en bus, à pied ou à vélo.
Les montres connectées également plébiscitées
Au-delà des dispositifs imposés par les autorités ou les transporteurs scolaires, la montre connectée fait elle aussi figure de nouveau gadget de l'écolier à la mode. L'appareil permet de communiquer et il est aussi équipé d'un traceur GPS. Les parents disposent ainsi d'un moyen de communication en temps réel avec leur enfant. Ses ventes ont explosé l'an passé.
Silvain Guillaume-Gentil, porte-parole de la police cantonale genevoise, y voit le moyen d'éviter des alertes inutiles. Mais des questions éthiques se posent également vis-à-vis de ces montres. Certains modèles permettent en effet d'allumer le micro et la caméra à distance. Ainsi, en France, la commission de l'informatique et des libertés a mis en garde sur un excès potentiel d'intrusion dans la vie des enfants.