La Fête fédérale de lutte, organisée tous les trois ans, est l'une des principales fêtes populaires de Suisse. L'une de ses grandes particularités est qu'il n'y a ni médaille, ni coupe, ni prix en argent. Cette tradition "remonte aux premières fêtes fédérales à la fin du 19e siècle", rappelle l'historien Gil Mayencourt vendredi dans la Matinale de la RTS.
La remise uniquement de prix en nature, comme un taureau pour le vainqueur, était destinée à préserver la charge folklorique traditionnelle des jeux nationaux. "C'est né à un moment où le tourisme se développe, et notamment le tourisme alpin. Le folklore devient alors un produit d'appel économique comme un autre", explique le docteur en histoire de l'Université de Lausanne.
Des sports nationaux littéralement fabriqués
Gil Mayencourt travaille sur un projet du Fonds national suisse (FNS) consacré à la fabrique des sports nationaux (comment sont apparus les sports nationaux comme la gymnastique, la lutte ou le football au 19e siècle). Le chercheur parle de l'invention d'une tradition des sports nationaux. "Il y a quelque chose de volontairement provocateur", reconnaît-il. "Mais au-delà, je crois que c'est vraiment pertinent de parler d'invention."
"On a des formes de lutte à la culotte, qu'on va appeler ensuite lutte suisse, au Moyen-Age et au-delà dans ce qu'on appelle l'ancienne Confédération helvétique", relève l'historien. Mais la réelle valorisation des jeux nationaux comme la lutte, le lancer de pierre ou le hornuss, ne date que du 19e siècle: "C'est là qu'on va avoir l'institutionnalisation de ces pratiques sous la forme de fêtes fédérales et surtout leur invention en tant que sport national".
Le besoin d'un récit national pour la Suisse de 1848
Il faut se rappeler que l'Etat fédéral est né en 1848, souligne Gil Mayencourt. "Et c'est à ce moment-là que la Suisse va devenir une nation, qu'il va falloir mettre ensemble des cantons, des identités culturelles, politiques, très différentes, plusieurs langues et le fossé ville-campagne".
Pour créer du lien, on va donc écrire un récit national. "On va l'inventer en grande partie et ces symboles que sont les jeux nationaux font partie intégrante de l'écriture de ce récit".
Une gigantesque infrastructure temporaire
La plus grande arène sportive de Suisse, montée dans le canton de Bâle-Campagne, permet d'accueillir 50'900 spectateurs. Sur 15'000 m2, soit deux terrains de football et demi, sept surfaces rondes recouvertes de 245 m3 de sciure attendent 280 des meilleurs lutteurs des quatre coins de la Suisse (lire encadré). Compte-tenu de l'éloignement entre lutteurs et public, des écrans géants sont disposés sur le site.
Les compétitions commencent vendredi en fin de matinée. Un cortège traditionnel d'inauguration va quitter le centre de Pratteln dans l'après-midi pour rejoindre l'aire de la fête.
La journée décisive pour l'attribution du titre de roi des lutteurs est agendée au dimanche, de 07h45 à 17h00. Le vainqueur gagnera notamment un taureau. D'autres attractions et festivités en tous genres sont également organisées sur le site.
En direct sur les chaînes de la SSR
Ce grand évènement sportif est retransmis en direct à la télévision alémanique SRF. Les chaînes des autres régions linguistiques de la SSR, dont la RTS, vont le diffuser aussi par moments.
L'installation des infrastructures du site a mobilisé de nombreux soldats en cours de répétition. La police de Bâle-Campagne a donné son feu vert au concept de sécurité de l'évènement au début de l'été.
Les lieux sont accessibles en transports publics, trams et bus compris. Des quais ont été prolongés en gare de Pratteln et des ponts provisoires d'accès, enjambant un ruisseau, ont été construits pour accueillir la grande foule sur l'aire de la fête. Le budget de l'évènement atteint 42 millions de francs.
oang avec David Berger et ats
Un sport encore excessivement masculin
Il n'y a aucune femme en compétition à Pratteln, pour une raison simple: elles sont interdites de compétition.
"Il y a une certaine mixité dans les clubs à l'échelle locale mais les faîtières sont séparées: on a une association fédérale masculine et une association fédérale féminine fondée en 1992", rappelle Gil Mayencourt.
Les hommes brandissent souvent l'argument d'un monde traditionnel masculin, supposément ancestral, qui risque de s'effondrer. "Mais on l'a vu", souligne l'historien, "il s'agit de traditions relativement récentes, fabriquées, donc l'argument ne tient pas".
La différence de popularité entre la Suisse alémanique et la Suisse romande, elle, est liée au fait que les principaux berceaux historiques de la lutte à la culotte en Suisse sont presque exclusivement alémaniques.
Il y a ainsi 2000 lutteurs dans la fédération romande, mais 20'000 dans la plus grande sous-association alémanique, celle du nord-est.
Un revenant et un favori
Pas moins de 280 athlètes sont en lice à Pratteln pour désigner le successeur de Christian Stücki, couronné roi à Zoug en 2019.
Le géant bernois (1m98, 150 kg), devenu il y a trois ans le roi de la lutte le plus âgé de l'histoire avec ses 34 ans, aura bien de la peine à récidiver. Souvent blessé, "Chrigu" (qui avait été désigné sportif suisse de l'année 2019) n'a pas gagné la moindre couronne cette année.
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Selon les observateurs, un favori se dégage: Samuel Giger. Ce Thurgovien de 24 ans (1m94/115 kg) figure en tête du classement annuel établi sur le site de référence www.schlussgang.ch.
Il compte cinq victoires en 2022 et semble avoir toutes les cartes en main pour s'imposer à Pratteln.