"C’est vraiment la mauvaise surprise!" Dans un cabinet de la Clinique de procréation médicalement assistée (CPMA) à Lausanne, Anaïs Lamarque et sa femme Isabelle tombent des nues.
Leur médecin vient de leur apprendre que leur caisse maladie refuse de prendre en charge les frais liés à leur procréation médicalement assistée (PMA).
"Le mariage pour tous pour les lesbiennes, c’était un moyen de mettre la population suisse sur un pied d’égalité, donc on s’attendait à être aussi sur un pied d’égalité à ce niveau-là", témoigne Anaïs Lamarque mardi dans le 19h30 de la RTS.
Cette Fribourgeoise de 34 ans songe à fonder une famille avec sa femme depuis trois ans. "C'est une injustice parce que cela signifie que la PMA est réservée aux personnes qui peuvent se le permettre."
C'est une injustice parce que cela signifie que la PMA est réservée aux personnes qui peuvent se le permettre
Deux mille francs par insémination
Chaque tentative d’insémination artificielle coûte environ 2000 francs, avec un pourcentage de réussite limité. "On compte environ 25% de chances de grossesse par insémination. Trois inséminations donnent environ 50% de chances de tomber enceinte", détaille Daniel Wirthner, responsable de la banque de sperme de la CPMA.
L’établissement, le seul avec le CHUV à proposer ce type de prestations dans le canton de Vaud, a reçu à ce jour une quinzaine de demandes de PMA de la part de couples lesbiens.
Couples hétérosexuels remboursés
A l’inverse, les trois premières tentatives d’insémination artificielle (à ne pas confondre avec la fécondation in vitro, qui elle n’est jamais prise en charge par les assureurs, ndlr.) sont remboursées pour les couples hétérosexuels, en cas de stérilité d'un des deux conjoints.
Cette condition est précisément au coeur du traitement différencié entre couples lesbiens et hétérosexuels. "La stérilité est définie comme l’impossibilité de concevoir après une année de rapports potentiellement fécondants", explique Daniel Wirthner. "Or dans les cas de couples de même sexe, il n’y a pas à proprement parler de stérilité. Donc les caisses nous disent 'nous ne sommes pas concernées, on ne prend pas en charge le traitement'".
Pas stériles donc pas malades
Les caisses maladie s’en tiennent en effet au cadre fixé par la LAMal (loi sur l'assurance maladie), qui spécifie dans son art. 25 qu’un traitement est pris en charge à partir du moment où il y a une maladie. "Il n’y a donc pas d’inégalité de traitement", soutient Christophe Kämpf, porte-parole de santésuisse, l’association faîtière des caisses maladie.
Et d’ajouter que "si on voulait étendre le cadre de la prise en charge de prestations de procréation médicalement assistée, en dehors du cadre légal actuel, c’est-à-dire y compris en l’absence de problèmes médicaux avérés, il faudrait qu’il y ait un changement de loi. Et là, la balle serait dans le camp du Parlement."
Une balle qu’entend bien saisir Lisa Mazzone (Les Vert.e.s/GE). Contactée par la RTS, la conseillère aux Etats confirme qu’elle mettra le sujet sur la table lors de la prochaine session cet automne.
Yoan Rithner
Véronique Boillet: "On réintroduit une différence de traitement fondée sur l'orientation sexuelle"
"Le droit de recourir à la PMA est protégé par la Constitution et la Convention européenne des droits de l'homme", rappelle Véronique Boillet, professeure de droit public à l'Université de Lausanne, sur le plateau du 19h30.
"A partir de là, toute limitation discriminatoire est prohibée. Le législateur a voulu mettre un terme à certaines inégalités en ouvrant le don de sperme aux couples de femmes. En limitant le remboursement de la PMA, on réintroduit finalement une différence de traitement fondée sur l'orientation sexuelle", estime la spécialiste.
Selon elle, ce n'est pas forcément au Parlement d'agir. "On peut déjà se demander comment interpréter le cadre légal actuellement en vigueur de façon conforme à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l'Homme."
"Est-ce que les caisses-maladie sont trop restrictives? C'est une question clairement juridique, d'interprétation. Les femmes concernées ont toujours la possibilité de recourir, de contester la décision des autorités et potentiellement d'obtenir gain de cause devant le Tribunal fédéral, voire jusqu'à la Cour européenne des droits de l'Homme", relève Véronique Boillet.