Après 25 ans d'échecs successifs devant le peuple, l'AVS va-t-elle enfin être réformée? Le texte soumis au vote prévoit une hausse de la TVA et un relèvement de l'âge de la retraite des femmes à 65 ans.
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AVS21 vise à stabiliser le premier pilier du système de retraite, qui devrait plonger dans le rouge dès la fin de la décennie en raison du vieillissement de la population et du départ à la retraite de nombreux "baby-boomers".
- Quelle santé financière? -
"Nous devons garantir la stabilité financière de l'AVS. Nous ne pouvons pas laisser partir une telle assurance dans une situation de déséquilibre. Pour les dix prochaines années, nous avons besoin de 18,5 milliards de francs", pose Alain Berset sur le plateau d'Infrarouge. Le conseiller fédéral recommande d'accepter le projet AVS21, à l'instar du gouvernement et du Parlement.
Nous devons garantir la stabilité financière de l'AVS. Nous ne pouvons pas laisser partir une telle assurance dans une situation de déséquilibre.
De son côté, Pierre-Yves Maillard, président de l'Union syndicale suisse (USS) et conseiller national vaudois, combat fermement la réforme. Selon lui, l'AVS se porte bien. "Pour les six prochaines années, il n'y a pas de déficit. Le fonds est passé de 20 milliards au début des années 2000 à 49 milliards aujourd'hui. Dans dix ans, il y aura 43 milliards. Et ça, cette baisse de six milliards, c'est si on ne fait rien", relève le syndicaliste.
Ce dernier admet toutefois que 20 milliards manqueront par rapport à l'objectif légal d'avoir une année entière de rentes de côté. Alain Berset répond: "Cet argument de laisser le fonds AVS aller au-dessous de 100% d'une année de dépenses, je ne l'avais encore jamais beaucoup entendu dans un débat comme celui-ci. J'aimerais appeler à une certaine prudence", lance le chef du Département fédéral de l'Intérieur.
- Augmenter les cotisations salariales? -
"On ne souhaite pas du tout que l'AVS fasse du déficit, on dit qu'il y a des alternatives beaucoup moins douloureuses que l'augmentation de l'âge de la retraite", se défend Pierre-Yves Maillard. Le président de l'USS évoque notamment une hausse des cotisations. "Si, par exemple, on augmente juste de 0,25% les cotisations salariales dans deux ou trois ans pour les salariés et les employeurs, on évite ce déficit. Pour gérer l'affaire des 'baby-boomers', il suffirait de les réaugmenter de 0,15% dans dix ans. On s'en sort."
On ne souhaite pas que l'AVS fasse du déficit, on dit qu'il y a des alternatives beaucoup moins douloureuses que l'augmentation de l'âge de la retraite
Alain Berset estime toutefois que "faire passer à la caisse les salariés" n'est pas la bonne solution. "A chaque fois qu'une réforme a été rejetée, le Parlement a décidé de mettre plus d'argent dans l'AVS en le prenant sur les salariés. Ils ne l'ont pas vraiment remarqué, il n'y a pas eu de référendum, de débat. Mais ces augmentations ne sont pas sans conséquence. C'est de l'argent pris chez les gens qui travaillent et qui financent l'AVS", pointe le conseiller fédéral.
Son vis-à-vis rappelle que les caisses de l'AVS ont connu un répit en 2019 avec le projet de réforme fiscale (RFFA), qui a amené deux milliards de francs. "Il y a eu une hausse de 0,15% des cotisations. Qui a souffert de cette réforme? Personne. Je n'ai entendu personne me le dire, cette hausse est passée inaperçue. Il y a donc possibilité de réformer l'AVS si on ne s'enferre pas dans la volonté d'augmenter les âges de retraite."
- Sur le dos des femmes? -
La mesure-phare d'AVS21 est l'instauration d'un même âge de la retraite pour les femmes et les hommes, soit 65 ans. Pour atténuer les effets pour les femmes proches de la retraite, un régime de compensations est mis en place.
Sur le plateau d'Infrarouge, la conseillère nationale Léonore Porchet (Les Vert.e.s/VD) dénonce le projet. "Ce qui est proposé aujourd'hui, c'est de faire des économies sur le dos de celles qui se sacrifient déjà tout au long de leur carrière. Avec des salaires de misère, parce que ce sont les femmes qui sont principalement dans les bas salaires. Avec des rentes plus petites, car ce sont les femmes qui sacrifient leur carrière pour s'occuper de leurs enfants", lâche l'écologiste.
Face à elle, la conseillère nationale Simone de Montmollin (PLR/GE) rappelle que la réforme doit conduire l'AVS sur plusieurs générations. "Il ne s'agit pas d'une réforme ponctuelle qui va résoudre toutes les difficultés actuelles. Les femmes qui n'ont pas pu anticiper pourront avoir une compensation. Est-ce qu'il est légitime que les femmes et les hommes ne puissent pas accéder au même moment à ce système AVS? Cette différence est-elle justifiée? Le système que nous proposons amène de la flexibilité", assure la libérale.
Alain Berset abonde: "La vraie question, ce n'est pas seulement l'âge de la retraite. Ce sont les compensations, la flexibilité, les conditions données. Nous sommes très sensibles à la question des bas salaires. Aujourd'hui, la majorité des dépenses de l'AVS vont aux femmes. C'est une très bonne chose, il ne faut surtout pas l'affaiblir."
De son côté, plus que le clivage hommes-femmes, Pierre-Yves Maillard pointe un clivage social. "Les femmes qui ont eu de longues études, qui peuvent faire une bonne carrière avec de bons revenus, militent pour cette réforme. Pour celles qui sont vendeuses, infirmières, qu'on a applaudi il y a deux ans, c'est comme si on leur donnait une gifle", image le Vaudois.
- Piocher à la BNS? -
Une autre alternative se présente pour stabiliser l'AVS. Selon Pierre-Yves Maillard et l'USS, les bénéfices de la Banque nationale suisse (BNS) pourraient, en partie, revenir à l'assurance vieillesse. L'idée avait été rejetée par une majorité du Parlement lors des débats sur le projet AVS21, mais elle revient en force.
"On pourrait donner à l'AVS les 11 milliards d'intérêts négatifs que la BNS a dans son capital", propose Pierre-Yves Maillard. Une idée qui ne plaît pas à son camarade socialiste. "Au 30 juin de cette année, la BNS, c'est 96 milliards de pertes. C'est deux fois plus que les bénéfices des deux années précédentes. Les variations sont énormes. Je préférerais qu'on ne fasse pas dépendre notre AVS de spéculations sur des marchés monétaires", tranche Alain Berset.
"Et moi je préférerais qu'on n'augmente pas les âges de la retraite. Tout simplement parce que les gens, hommes ou femmes, qui ont des métiers pénibles ne peuvent pas travailler davantage", rétorque Pierre-Yves Maillard.
Propos recueillis par Alexis Favre
Adaptation web: Guillaume Martinez