Une hospitalisation pour opérer une hernie inguinale coûte 4760 francs. La même intervention réalisée en ambulatoire – donc sans passer de nuit à l’hôpital – revient à 3032 francs. Cette apparente bonne affaire n'en est pas une pour votre prime d'assurance maladie.
L’hôpital prend en charge 55% du geste effectué dans le cadre d’une hospitalisation, soit 2618 francs. L'assurance maladie obligatoire (AOS), vos primes, finance les 2142 francs manquants. Pour l’intervention en ambulatoire, c’est l’intégralité des 3032 francs qui pèseront sur votre facture mensuelle.
L’ambulatoire sale la facture
Cet exemple, cité par la faîtière des assureurs Curafutura, est de plus en plus d’actualité. La médecine ambulatoire a le vent en poupe. Les évolutions techniques et le coût global plus faible ont multiplié les opérations réalisées dans la journée. Néanmoins, l'Office fédéral de la santé publique ne peut pas fournir de chiffres sur le montant global concerné.
Selon notre analyse des statistiques des coûts de la santé, les interventions sans hospitalisation ont fortement alourdi les primes obligatoires. Les soins curatifs ambulatoires (voir encadré) ont augmenté de 96% en 20 ans. Soit deux fois plus que les soins curatifs stationnaires (+50%).
Ainsi, l’ensemble des soins curatifs repose beaucoup plus sur l’assurance maladie qu’il y a vingt ans. Si la répartition des charges était restée la même, trois milliards de moins auraient été payés par les primes en 2020. Pour un assuré payant 400 francs mensuels de prime obligatoire, cette surcharge représente 470 francs de plus à payer par année.
Le fardeau de la classe moyenne
La classe moyenne fait les frais de ce bouleversement. La part des soins financée par les impôts, qui dépendent du revenu et bénéficient d'autres sources comme les entreprises, a diminué. Celle payée par les primes s’envole.
Pour l'ensemble du système de santé, la part de l'AOS est passée de 32% en 2000 à 38% en 2020. Ces quelques points paraissent faibles. Ils équivalent en fait à un transfert de 4,7 milliards de francs à la charge des assurés.
Pour le conseiller national libéral-radical Philippe Nantermod, la question est complexe. "Dans le système de santé suisse, si vous attaquez un acteur – prestataire ou payeur – il va renvoyer la balle à un autre. Cela implique qu'il faut avancer sur plusieurs fronts en parallèle".
A gauche aussi, on se montre prudent. Baptiste Hurni, député socialiste, concède "une volonté de comprimer les coûts, de façon générale (…) Mais je ne vois pas de volonté politique de déplacer les soins stationnaires aux soins ambulatoires pour soulager les cantons". Selon lui, il y a "toute une série d’opérations qu'on ne pouvait pas faire en ambulatoire il y a 15, 20 ou 30 ans. C’est plus agréable, plus confortable pour le patient, donc on le fait en ambulatoire".
Volonté ou pas, la progression de l'ambulatoire pèse sur les assurés.
Assureurs gagnants
Si la facture de l'AOS augmente plus vite que les coûts de la santé, cela signifie que d'autres voient leurs finances en partie épargnées. La réforme de 2012, par exemple, a souri aux assureurs. La hausse des primes de l'assurance obligatoire leur vaut mauvaise presse, mais elle ne leur coûte rien. En effet, les bénéfices sur l'AOS sont interdits. Les assureurs peuvent gagner de l’argent uniquement sur les complémentaires.
En finançant davantage d'hôpitaux privés, les cantons soulagent les assureurs d’une partie des prestations qu'ils devaient payer. L'augmentation de l’ambulatoire contribue à réduire les montants payés pour les assurances "hospitalisation". Depuis 2012 l'écart entre les primes encaissées et les versements effectués pour des hospitalisations a grandi de plus de 300 millions de francs par an en moyenne.
Contactée par la RTS, l’Association Suisse d’Assurances répond que "ces écarts servent entre autres à la formation de réserves. Ces dernières revêtent une importance d’autant plus grande que l’évolution démographique actuelle est caractérisée par une population vieillissante".
Une réforme qui ne profitent pas aux assurés
Les modifications de 2012 visaient à reprendre le contrôle sur les coûts hospitaliers. Dans un rapport de 2019, l’OFSP estime toutefois que seule la hausse des coûts stationnaires - liés aux hospitalisations - a été maîtrisée. Le rapport stipule encore que "la durabilité" de cette maîtrise n’est pas garantie.
Profitable pour les réserves des assureurs, cette réforme, portée par le centre-droit du Parlement, n’aura pas réellement soulagé la classe moyenne. A-t-elle manqué sa cible? Philippe Nantermod s'en défend: "la révision visait surtout à promouvoir le libre-choix de l'hôpital, pas la concurrence sur les prix. Pour cela, il faut augmenter la pression sur les prestataires, les marges des fournisseurs sont trop grandes. Il faut, par exemple, permettre aux assureurs de négocier les tarifs qu'ils remboursent".
Une vision des choses qui ne convainc pas le socialiste Baptiste Hurni: "les assurances, essentiellement, aimeraient beaucoup voir les cantons payer une partie des soins stationnaires, mais ne rien avoir à décider dedans. C’est un peu difficile à accepter." Les débats pour mieux répartir les coûts du stationnaire se poursuivent au Parlement. D'ici à ce que les différents bords politiques se mettent d'accord, l'ambulatoire continuera sans doute à se développer et à alourdir les primes.
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Tybalt Félix
Définitions
Les soins curatifs comprennent l'ensemble des visites médicales, opérations et autres interventions réalisées en hôpital ou en cabinet. Ils n'incluent pas les soins longue durée en institution (EMS) ou à domicile. Ils n'incluent pas non plus les réadaptations en cliniques spécialisées, ni les médicaments, appareils ou analyses de laboratoire.
En règle générale, un soin est considéré comme ambulatoire s'il a été réalisé dans les 24 heures, sans nuit à l'hôpital.