"En acceptant d'un souffle la réforme AVS 21, la Suisse donne un soufflet aux femmes", écrit Le Quotidien Jurassien, qui note que "la majorité alémanique du pays a voté cette égalité-là, alors que les cantons latins, le Jura en tête, ont affiché hier leur hostilité".
Et si la mobilisation des hommes alémaniques en faveur du oui a été visiblement massive, celle des femmes pour le non l'a aussi été, constate le journal 24 Heures, pour qui le résultat du vote débouche sur une division du pays. Mais au classique Röstigraben, il ajoute une barrière des genres qui, "par les temps de multiples clivages qui courent, ne va pas faciliter le vivre-ensemble".
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La Suisse, "vraiment bosseuse"?
Le Temps y voit également de nombreuses fractures: entre femmes et hommes, au niveau social (entre communes à bas et hauts revenus) et sur le plan linguistique. "Une ligne déchire le pays", résume-t-il. Le journal explique cette différence par "une vision plus libérale de l'Etat en Suisse alémanique et la prééminence de figures syndicales fortes dans la campagne en Suisse romande". Il estime cependant qu'il est "juste que les femmes travaillent autant que les hommes, jusqu'à 65 ans. La solidarité doit être complète entre les générations et les catégories sociales au sein de notre assurance vieillesse et survivants".
D'ailleurs, l'âge de la retraite à 65 ans n'est pas si élevé que cela, remarque Le Journal du Jura, qui compare avec l'Italie ou l'Islande où on travaille jusqu'à 67 ans et se demande si la Suisse est vraiment "bosseuse". "La pyramide des âges ne ment pas: on vieillit et la génération actuelle va générer des vagues de rentiers", estime-t-il.
La "belle victoire" d'Alain Berset
"La gauche et les milieux féministes n'avaient bien sûr pas la partie facile: se battant pour l'égalité à longueur d'année, ils devaient justifier le maintien dans la loi d'une discrimination basée sur le genre", relève pour sa part la Tribune de Genève, qui note aussi, à l'instar de nombreux autres quotidiens, que les femmes n'en demeurent pas moins victimes d'inégalités "persistantes et inacceptables" dans le monde du travail.
Pour arriver à ce résultat, "les partis bourgeois ont joué assez habilement sur le sentiment de peur", relève Le Courrier, pour qui la guerre en Ukraine et le risque de pénurie énergétique ont sans doute pesé dans la balance en insufflant une dimension sécuritaire dans le vote de dimanche. Il pointe aussi la campagne "menée avec conviction" d'Alain Berset, qui a par ailleurs bénéficié "d'un surcroît de crédibilité pour sa gestion de la crise Covid".
La Liberté s'arrête elle aussi sur Alain Berset et sa "belle victoire" alors qu'il devait porter ce projet "contre les siens", et en particulier contre son vieil adversaire Pierre-Yves Maillard, "le tribun des opposants à nouveau dressé sur son chemin, onze ans après leur lutte fratricide dans la course au Conseil fédéral".
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Le deuxième pilier, prochaine bataille
ArcInfo, de son côté, reprend le discours d'Alain Berset dimanche soir et souligne que le résultat serré de dimanche constitue "un message au Parlement pour trouver des solutions aux inégalités, notamment le 2e pilier". Le Parlement n'en prend toutefois pas le chemin, car la réforme de la prévoyance professionnelle a été repoussée par le Conseil des Etats. Quant au National, il a déjà retoqué un projet concocté par le Conseil fédéral qui était pourtant le fruit d'un compromis entre partenaires sociaux.
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Abondant dans le même sens, Le Nouvelliste appelle la droite à tenir sa promesse d'une réforme du deuxième pilier, "qui prendra en compte l'intérêt des femmes qui travaillent toujours et pour la plupart à temps partiel".
Le quotidien valaisan juge même qu'il faudra "assurer et sans doute réinventer la prévoyance à l'aune de [...] nouvelles donnes qui dépassent la question du genre", car "au sortir du Covid, le monde du travail a subi de nombreuses transformations [...] Aujourd'hui, beaucoup d'actifs donnent un nouveau sens au labeur, les jeunes privilégient le temps partiel, l'ambition ne se résume plus à la réussite et le bonheur ne se mesure plus à une carrière en ligne droite", analyse-t-il.
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ats/vic
Résultat salué en Suisse allemande
Outre Sarine, la presse alémanique salue globalement le résultat de la votation. "Pour la toute première fois, les électeurs ont approuvé une réforme de l'AVS qui entraîne des réductions et non une extension de la plus importante institution sociale de Suisse", se félicite la Neue Zürcher Zeitung, qui déplore cependant un faible "oui". "Les partisans d'AVS 21 sont responsables en partie de ce résultat serré. Leur campagne a manqué de passion", estime le quotidien zurichois.
"Il est juste de stabiliser financièrement l'AVS et d'harmoniser l'âge de référence des femmes et des hommes", commente le Tages-Anzeiger, allant dans le même sens. Et il était temps, enchérit le Blick. "L'acceptation par le peuple est aussi un tournant en matière de pouvoir politique. Jusqu'à présent, il était impossible de faire passer des réformes de l'AVS contre la gauche", constate-t-il.
Même constat pour le commentateur du groupe de presse CH-Media, pour qui la votation marque une césure. "Les réformes sociales sont désormais possibles même sans le PS et les syndicats", remarque-t-il. Il relève toutefois que les socialistes n'ont pas subi un gros revers. "Les forces roses-vertes se sont mobilisées bien au-delà de leurs propres rangs et ont réalisé une dernière ligne droite impressionnante".
Une décision "difficile" mais "courageuse" de la majorité
Invitée de La Matinale lundi, la conseillère aux Etats et vice-présidente du PLR Suisse Johanna Gapany a estimé que la réforme AVS 21, acceptée par une courte majorité de la population, constitue un "changement difficile mais nécessaire" pour renforcer le pilier de l'AVS. La Fribourgeoise a salué une "décision courageuse" et "solidaire". Selon elle, la gauche a essayé de diviser la population lors de la campagne avec des arguments "simplistes".
Cette votation est une première étape vers une réforme de la LPP, discutée depuis quelques mois au Parlement et qui doit améliorer les rentes des femmes en particulier. "C'est là que nous avons la possibilité de vraiment faire la différence", a jugé la conseillère aux Etats. Selon elle, il est nécessaire de flexibiliser et consolider le système du 2e pilier.
Interrogée sur un relèvement à l'avenir de l'âge de la retraite à 66 ans pour tout le monde, comme le demandent les Jeunes PLR dans une initiative, Johanna Gapany a rappelé que les personnes qui partent à la retraite aujourd'hui "ne se posent pas tellement la question de quand elles la prennent, mais plutôt de comment elles la prennent". Les futurs débats sur les rentes devront prendre en compte les conditions de vie des travailleurs et travailleuses, a-t-elle ajouté.