Guénaëlle Gault, directrice de L'Observatoire Société et Consommation en France, vient tout juste de publier une étude sur la fatigue informationnelle, basée sur l'observation de comportements dans l'Heaxagone.
Réalisée en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès et ARTE, cette étude montre que 53% des Français et Françaises disent souffrir du phénomène, et même 38% se déclareraient "très fatigués".
"Hyperconnectés épuisés" et "défiants oppressés"
Deux profils sortent particulièrement du lot, selon la chercheuse. D'abord, les "hyperconnectés épuisés", des jeunes urbains diplômés qui ont une forte consommation d'informations, notamment via internet et les réseaux sociaux, une consommation "active", explique Guénaëlle Gault dans l'émission Forum de la RTS lundi. Cette activité devient assez intense, voire compulsive, ce qui conduit à la fatigue informationnelle ces jeunes diplômés pourtant rodés aux médias sociaux.
Le deuxième profil, c'est celui des "défiants oppressés". Il représente un tiers de la population française. Ce groupe, plutôt féminin, d'un niveau de vie modeste et d'un "engagement quand même affirmé dans l'information mais plus en retrait que le groupe précédent", a l'impression de subir l'information. Il serait "très affecté" et "chercherait des alternatives" pour s'informer.
Parmi ces deux groupes - qui représenteraient plus des trois-quarts de la population française et qui sont les plus fatigués aujourd'hui - 28% déclarent limiter ou cesser de consulter l'information, et ceci sur une base régulière, selon l'étude de Guénaëlle Gault.
"De la peur, de la panique, du stress"
"J'ai senti de la peur, de la panique, du stress partout dans mon corps, de façon récurrente, tous les jours, ce qui m'empêchait de vivre de manière positive. (...) Rien que le fait d'entendre la musique des nouvelles me stressait terriblement. Je me suis vraiment coupée d'à peu près tous les médias qui m'assaillent", témoigne Eve Allemand, enseignante et psychologue, décrivant la fatigue informationnelle qu'elle a ressentie.
Entendre la musique des nouvelles me stressait terriblement.
Aude Carasco, cheffe de la rubrique Médias du journal La Croix, a publié une vaste enquête sur le sujet en ce début d'année. Des témoignages comme celui d'Eve, la journaliste en a entendu "plusieurs", venant "notamment de femmes, plutôt jeunes, qui s'informent sur les réseaux sociaux, mais pas seulement".
Dans son enquête, la journaliste décortique le champ lexical de cette détresse: "stress", "angoisse", impression d'"impuissance" par rapport à l'information, mais aussi la "submersion", une "perte de contrôle face à une "vague", "trop de choses dans la tête qui empêchent la "prise de distance", un "envahissement".
La quantité excessive d'informations semble être au coeur du problème. Ainsi, pour Guénaëlle Gault, cette "infobésité" est "un excès d'informations qu'on n'arrive pas à métaboliser en connaissances et en compréhension du monde", ce qui rend difficile la construction d'une opinion et la hiérarchisation de l'information.
L'effervescence du Covid
Aude Carasco souligne la gravité du phénomène et ses enjeux démocratiques: selon la journaliste, se basant sur une analyse de Reuters, les pays où on se détourne de l'info seraient aussi les pays les moins démocratiques. Au Brésil par exemple, "54% des gens évitent l'info", indique-t-elle.
Cette fatigue informationnelle gagnerait le monde entier, et de manière très perceptible en Grande-Bretagne, notamment durant le Brexit, ou sous l'Amérique de Trump, selon la journaliste.
Le besoin d'informations en période de Covid était quasi vital
Pour de nombreuses personnes, les symptômes de fatigue informationnelle sont apparus durant la pandémie. "Le besoin d'informations en période de Covid était quasi vital. Des gens cherchaient à s'informer, c'était plus fort qu'eux, jusqu'à saturation", décrit Aude Carasco, précisant que la fatigue informationnelle est plus forte dans les périodes de crises - sanitaires, sociales, économiques - et en périodes "de forte polarisation politique".
Solutions envisagées
Pour Aude Carasco, l'enjeu côté médiatique est de "donner mieux à manger" aux auditeurs et auditrices, prendre en compte la capacité du cerveau humain à assimiler l'information, pour que les gens "continuent d'avoir envie de s'informer, et que ces informations soient utiles". Cela impliquerait également de sortir des logiques de courses à l'audimat.
Annick Dubied, directrice de l’Académie du journalisme et des médias à l'Université de Neuchâtel, invite les journalistes à changer les focales, à trouver d'autres sujets, à les approfondir davantage, à éviter de trop polariser, à expliciter la manière de travailler et les méthodes, et enfin mettre en place des dispositifs de médiation, comme des conseils de presse. Guénaëlle Gault, elle, appelle à mieux réguler les plate-formes d'informations en ligne, car les intérêts économiques prévaleraient dans ce secteur, conduisant à une course aux clics.
Du côté individuel, la journaliste Aude Carasco conseille de se mettre à distance, de consacrer du temps à l'information de manière disciplinée. Delphine Tayac, journaliste indépendante et co-fondatrice du collectif Antidotes, propose la "pause informationnelle" en cas extrême de décrochage, avant d'opérer une "transition informationnelle". Pour la journaliste indépendante, il faut être actif dans son rapport à l'information, éviter les notifications push, s'informer moins mais mieux.
Propos recueillis par Pietro Bugnon et Thibault Schaller
Adaptation web: Julien Furrer