On ne compte plus le nombre de fois où l’on a entendu de telles alertes ces derniers mois. Il y a encore deux semaines, l'Association suisse des pédiatres lançait son SOS, avisant d'une "pénurie de soins imminente" dans son secteur. En cause: une augmentation massive du nombre de patients aux urgences, causée notamment par le manque de pédiatres et de médecins de famille.
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Les alertes dans le secteur de la santé ont d'ailleurs commencé dès le mois de janvier. A Genève, les urgences pédiatriques des HUG annonçaient déjà une surchauffe, avec une activité en hausse de 64% par rapport à 2021. Et l'été s'avérera pire, agissant comme un révélateur en Suisse romande, les urgences de presque tous les hôpitaux étant débordées. Dans les hôpitaux de Neuchâtel puis de Sion, il faudra même repousser des opérations planifiées et non urgentes.
>> Plus de détails dans notre article : Par manque de personnel, l'Hôpital du Valais doit repousser des opérations
A Lausanne, au CHUV, tous les services fonctionnent actuellement "à flux tendu", alors que l'Hôpital fribourgeois (HFR) était encore à saturation début septembre.
>> Lire : L'hôpital fribourgeois annonce des mesures urgentes pour libérer des lits
Face à la hausse de ces besoins, l’Hôpital de Neuchâtel a augmenté son dispositif, passant de 330 lits à plus de 419 à ce jour. Certains sites hospitaliers, au contraire, sont contraints de fermer en raison d'un manque de médecins urgentistes, comme la permanence médicale de Vevey.
Plus de 5000 infirmiers recherchés
La grave pénurie de personnel soignant qui touche l’ensemble de la Suisse se trouve au cœur de ces situations extrêmement tendues. Un simple tour sur le site JobUp.ch mardi matin montre que plus de 5200 infirmiers et infirmières sont actuellement recherchés à travers le pays. Tous les établissements disent aussi manquer de spécialistes.
L'Hôpital de Fribourg compte actuellement une quarantaine de places de soignants ouvertes et explique que trouver certains profils peut prendre jusqu'à un an. A Neuchâtel, certains sont même "quasiment impossibles à pourvoir", comme les infirmiers et infirmières en bloc opératoire, en soins intensifs ou encore les techniciens et techniciennes en stérilisation.
Et les perspectives pour les années à venir ne sont pas rassurantes. Selon une étude du cabinet PwC, la pénurie pourrait s'aggraver d’ici 2040 en Suisse. Il manquerait alors 40'000 infirmières et infirmiers.
>> Lire en détail : Une grave pénurie de personnel guette le secteur de la santé, alerte une étude
Le personnel trinque pour compenser
Pour s'en sortir à court terme, les hôpitaux interrogés par la RTS ont indiqué se reposer sur du personnel temporaire en faisant appel à des agences d'intérim.
Les autres mesures mises en oeuvre le sont souvent au détriment du personnel, en stoppant les demandes de congé, en allongeant les horaires ou en demandant au personnel soignant de venir faire des remplacements sur une base volontaire, reconnaît par exemple l’Hôpital Riviera Chablais.
A plus long terme, diverses solutions ont été lancées pour attirer davantage de salariés. Le CHUV projette une nouvelle crèche à horaires étendus pour mieux concilier vie privée et vie professionnelle.
Des efforts portent aussi sur la formation. Cette année, les HUG ont quasiment doublé le nombre de formations spécialisées aux urgences pour le personnel soignant. En 2023, ce nombre sera quasiment triplé. Quant à la Haute école de santé de Genève, elle devrait doubler le nombre de places de formation grâce l’extension de son campus d’ici la fin de l’année.
Salaires revalorisés
Plusieurs établissements envisagent aussi d'augmenter les salaires, notamment dans le canton de Vaud, où une revalorisation est en discussion. En Valais, le personnel soignant touche déjà mille francs de plus par an depuis juillet dernier.
>> Lire à ce sujet : Augmentation de 1000 francs pour le personnel soignant de l'Hôpital du Valais
Améliorer les conditions de travail et former davantage sont justement les deux axes de l’initiative sur les soins infirmiers, acceptée par la population suisse il y a un an. "Elle représente un grand espoir que les choses puissent changer. On voit que quelques éléments se mettent en place", relève la présidente de l'Association suisse des infirmières et infirmiers Sophie Ley, qui regrette toutefois que les améliorations ne se fassent "pas assez rapidement".
A ce stade, rien de concret n'a encore été présenté, si ce n’est un "oui" encourageant du Conseil des Etats à une enveloppe d'un milliard sur huit ans pour soutenir la formation.
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Sujet radio: Julie Rausis
Adaptation web: Vincent Cherpillod
Appel à réduire le catalogue des prestations de la LAMal
Interrogé mardi dans La Matinale, le directeur de l'Hôpital de Bienne Kristian Schneider a confirmé reconnaître "très très bien" la situation de son établissement dans le tableau sombre dressé par la RTS en matière de pénurie de personnel.
Avec une telle pénurie, "on touche à une certaine forme de qualité des soins", concède-t-il même après avoir été confronté au témoignage d'une infirmière fribourgeoise qui dit "ne pas avoir, parfois, le temps de voir le visage de tous [ses] patients avant la visite médicale" et estime "ne pas avoir le temps de faire son travail dans de bonnes conditions".
Le catalogue des prestations de la LAMal, large et étendu, fait que tout le monde peut consommer des biens de santé à tout moment
"Si cette infirmière ne se sent pas bien dans son travail, les patients vont le sentir aussi. Et si, à la fin de la journée, elle ne peut plus se dire 'Est-ce que j'ai fait un travail de qualité?', alors oui, on a un vrai problème", reconnaît Kristian Schneider. Mais pour lui, il ne suffira pas d'augmenter sans fin les salaires et la formation pour le résoudre.
La population "consomme-t-elle" trop de biens de santé?
"On a aujourd'hui un problème d'accès aux prestations par la population. Il y a par exemple une forte augmentation du nombre de pédiatres depuis 10 ans, mais comme la hausse de la consommation [de prestations médicales] ne s'arrête pas, notre hôpital des enfants est complètement débordé tous les jours. Or, dans la plupart des cas, il ne s'agit pas de maladies vraiment graves. On pourrait aussi, peut-être, attendre le lendemain", pointe-t-il.
A ses yeux, le catalogue des prestations de la LAMal (qui regroupe les soins remboursés par l'assurance maladie de base), "large et étendu", fait que "tout le monde peut consommer des biens de santé" à tout moment. Kristian Schneider n'hésite d'ailleurs pas à appeler clairement à "revoir ce catalogue, parce que les prestataires ne sont plus suffisants pour répondre aux besoins".
Il estime que le problème de pénurie perdurera même si l'accent est mis sur la formation et rappelle qu'en 2011, en réponse à la publication d'un rapport alertant sur la pénurie à venir, davantage de personnel avait déjà été formé. "Mais l'effet de cette augmentation est aujourd'hui nul. Le personnel nous manque encore", constate-t-il.