Août 2021. Le DRA-10, fleuron des forces spéciales suisses, envoie un détachement de six soldats à Kaboul. La capitale afghane est livrée au chaos suite à l'avancée des talibans.
Pour la première fois, le chef du commando révèle les conditions de cette intervention d'urgence. Le nom de code de ce militaire est "Capi". Pour des raisons de sécurité, son anonymat a été protégé par la rédaction de Temps Présent, qui diffuse un reportage exclusif sur son unité.
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Première étape en Ouzbékistan
"J'ai reçu le premier appel téléphonique le 13 août en début d'après-midi m'informant qu’un engagement du DRA-10 en soutien au DFAE pourrait venir, dans la région de Kaboul, en Afghanistan", raconte le militaire. "J'ai alors immédiatement mis certains de nos hommes en alerte élevée", explique-t-il. "Nous avons constitué une première équipe qui serait prête pour une éventuelle mission", se souvient-il.
A ce moment-là, ce qui nous attendait concrètement n’était pas encore très clair.
L'action est déclenchée le 16 août. La petite équipe du DRA-10 s’envole vers Tachkent, en Ouzbékistan. Là, les militaires suisses rejoignent un régiment de parachutistes allemands, dans lequel ils sont intégrés pour cette opération.
Marche forcée
La mission, pilotée par le Centre de gestion des crises du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), se précise: "rapatrier en priorité le personnel de notre représentation avec leurs familles proches, plus d'autres personnes qui étaient considérées sur cette liste", indique Serge Bavaud, chef suppléant du Centre.
Les six hommes du DRA-10, assistés par deux civils du DFAE, conseillers à la sécurité, sont plongés dans l’enfer de Kaboul. Ils font alors face à un obstacle de taille: ils doivent se déplacer à pied. "Un des problèmes auxquels nous étions confrontés était le manque de mobilité à l'aéroport", explique "Capi".
Nous sommes arrivés et n'avions aucun moyen de transport.
L'armée allemande à la rescousse
"Avec l'aide de nos camarades allemands, nous avons pu remettre en état un véhicule afin de pouvoir l'utiliser pour nos besoins de transport", se remémore ce responsable.
Finalement, ils parviennent à évacuer 385 personnes. Sans l’aide de l’Allemagne, cette mission aurait probablement été impossible. "Nous avons pu avoir une petite présence sur place parce qu'un partenaire de choix, qui était l'Allemagne, avait déjà sur place l'entier de l'infrastructure et de la logistique, ce qui nous a permis de nous concentrer essentiellement sur les personnes et de réaliser à la fin un bilan très positif", confirme Serge Bavaud.
Le DRA-10 dépêché à Kiev
La mission suisse à Kaboul en 2021 est un succès, comme celle du DRA-10 en Ukraine, l’année suivante. Une dizaine de jours avant l’invasion russe du 24 février dernier, un détachement du DRA-10 est à nouveau sollicité par le DFAE. "L'objectif était de rester", raconte Claude Wild, ambassadeur de Suisse à Kiev.
Il s'agissait alors de "faire un scénario d'hibernation en fonction de comment ça se serait déroulé s'il y avait eu une bataille de Kiev", ajoute-t-il. Mais la poussée des forces de Moscou change la donne.
Avec le type d'armement qui s'avançait sur Kiev, on s'est dit: 'là, il va falloir partir'.
Assurer la sécurité
Quelques heures après l’invasion russe, alors que les agences humanitaires quittent précipitamment l’Ukraine, l’évacuation des Suisses se met en marche. "Et ça, c'était un peu notre critère. Si les humanitaires partent, alors nous allons partir aussi", souligne Claude Wild.
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Une fois encore, les hommes du DRA-10 présents sur place assurent la sécurité et permettent une évacuation impeccable, qui dure plusieurs jours, sur les routes encombrées de l’Ukraine sous les bombes.
Et si des coups de feu étaient échangés?
Aucun incident grave n’est heureusement survenu lors de ces missions gardées le plus secrètes possibles. Que se serait-il passé en cas d’affrontement, par exemple avec des militaires russes? Ce scénario catastrophe, tout à fait possible, pourrait mettre à mal la neutralité helvétique. Si personne, à gauche comme à droite, ne conteste plus la valeur et l’utilité du DRA-10, le contrôle de ses missions suscite en revanche des critiques. Le Parlement n’a ainsi été informé de l’envoi du DRA 10 en Ukraine et en Afghanistan qu’après coup.
Ce temps d'attente fâche le conseiller national socialiste zurichois Fabian Molina, également membre de la Commission de politique extérieure des Chambres. Tout en louant le professionnalisme de l'unité d'élite, l'élu estime que le législatif fédéral, via sa commission, et pas seulement le Conseil fédéral, devrait être informé avant l’engagement de missions aussi sensibles et risquées, et ne pas l’apprendre en lisant la presse.
"Soudain un soldat meurt ou des coups de feu sont tirés entre deux armées et la Suisse est partie prenante au conflit, ce qui débouche rapidement sur un embrasement", imagine-t-il.
Au Conseil fédéral d’informer le Parlement
"Pour être honnête, je suis un peu agacé par l'attitude du Conseil fédéral, qui passe outre la Constitution fédérale et la loi sur le Parlement dans divers domaines, et dans le domaine de la politique étrangère, qui réduit le droit de regard du Parlement", lance-t-il.
La conseillère fédérale en charge du Département fédéral de la Défense (DDPS) Viola Amherd a décliné l'interview demandée par Temps Présent au sujet des interventions à l’étranger du DRA-10.
La réponse viendra du chef de l’armée, le commandant de corps Thomas Süssli: "L'armée agit toujours sous le primat de la politique. Il s’agit d’une décision politique. La souveraineté de l'information est aussi le privilège de la politique."
Et lorsqu’on nous charge d’une mission, nous y répondons et nous informons également.
Pour l'officier général, la chaîne de décision doit d’abord passer par le Conseil fédéral. "Et c'est ensuite au niveau politique de décider si le Parlement doit également être informé", conclut-t-il.
Jean-Philippe Ceppi