En Suisse, de nombreux anciens bâtiments sont démolis pour en construire de nouveaux. Interrogé dans l’émission Tribu de la RTS, le professeur d’économie à l’EPFL Philippe Thalmann critique cette pratique.
"La plupart d'entre nous sommes encore convaincus que cela vaut la peine de détruire un vieux bâtiment, peu performant d'un point de vue énergétique, pour le remplacer par un plus grand bâtiment, qui utilise mieux la parcelle et qui est au top de la performance énergétique. En fait, c'est quelque chose qui est de plus en plus remis de question."
Le spécialiste pointe l'impact environnemental des matériaux. "L'essentiel de la construction utilise du béton, du ciment, des briques, de l’acier, des métaux. C'est extrêmement intensif en énergie et c'est polluant."
Matériaux pas recyclés
Selon Philippe Thalmann, en 2018, la Suisse a utilisé 87 millions de tonnes de matériaux, toutes activités confondues, dont 62 millions pour la construction. "Ce chiffre est énorme, parce qu'il s'agit de l’énergie grise, de l’épuisement de ressources naturelles, de la production de déchets."
Lorsqu’un bâtiment est démoli, ces matériaux ne sont, pour la plupart, pas recyclés. "Pour l’instant, très peu des matériaux de démolition sont réutilisés. La grande majorité finissent dans un trou ou incinérés. Et tant qu'on n’arrive pas à résoudre ça, j’irais jusqu'à proposer un moratoire sur les démolitions."
Pour le professeur de l’EPFL, ce moratoire devrait durer tant qu'une filière n’est pas mise en place pour réutiliser au mieux les matériaux de démolition. "Ne pas démolir ne signifie pas qu'on ne touche pas au bâtiment. On peut très bien agrandir des bâtiments, transformer une villa en un bâtiment plus grand."
Des logements trop spacieux
Le moratoire serait, selon lui, le seul moyen de forcer à l’action. "Tout le reste, les incitations, les recommandations, même les taxes et les augmentations de tarif, ça ne fonctionne pas."
Pour Philippe Thalmann, détruire de l’ancien pour construire du neuf n'apporte pas forcément de grand gain en matière de densification. "Dans les anciennes zones villas, on construit souvent des très grands appartements qui sont occupés finalement par assez peu de personnes. Et donc, en termes de densification sociale, ça ne se justifie pas vraiment par rapport à toute les ressources qui ont été nécessaires."
Vivre dans un logement spacieux n'est plus compatible avec les limites planétaires
"Tout le monde souhaiterait pouvoir vivre dans un logement spacieux, c’est logique. N’empêche, ce n'est plus compatible avec les limites planétaires."
Miser sur les rénovations
La priorité serait dès lors de rénover le bâti. "On a un tel retard dans l’entretien ou la rénovation du parc existant, une telle pénurie de main d’œuvre et de matière qu'on devrait vraiment donner la priorité au parc existant."
Le professeur de l’EPFL reconnaît que le message n’est pas forcément facile à faire passer. "Ce n'est pas une urgence qu'on ressent comme celle de l’électricité, où on craint des black out. Néanmoins cette urgence est tout à fait réelle."
"Plusieurs cantons ont reconnu l’urgence climatique. Mais c'est une chose de décréter l’urgence, c'en est une autre de prendre les mesures correspondantes. Et je pense qu'on en fait encore beaucoup trop peu. (…) Si on veut atteindre nos objectifs zéro carbone d'ici 2050, réduire les impacts sur la biodiversité, ne pas raser toutes nos collines et utiliser toutes nos réserves de gravier qui sont en train de s’épuiser, on doit trouver une meilleure solution."
Julien Magnollay/asch