Face à la pénurie de généralistes, les communes n'hésitent pas à investir pour les attirer
Comme dans toutes les régions périphériques, la commune fribourgeoise de Hauterive risque de se retrouver bientôt sans médecin de famille. Pour éviter cette situation, les autorités misent sur la construction d'un futur cabinet de groupe que le généraliste de la commune attend avec impatience. Il faut dire qu'à plus de 66 ans, le docteur André Schaub a déjà dépassé l'âge de la retraite.
"Je vais jouer les prolongations jusqu'à ce que le cabinet de groupe puisse se construire", explique-t-il au micro de La Matinale. Quoi qu'il en soit, pour lui, ça serait dramatique que ses patients se retrouvent sans médecin dans le village. "Cela fait 33 ans que je suis là, je me vois difficilement croiser des gens dans le village si on ne trouve personne."
Véritable marché
Actuellement, il y a un véritable marché pour attirer les généralistes dans les campagnes. Et certains médecins font même monter les enchères. Dès lors, la mise à disposition de cabinets médicaux par les communes ne suffit parfois pas. C'est la dure loi de l'offre et de la demande, comme le souligne Dominique Zamofing, le syndic de Hauterive.
C'est le prix à payer pour garder un service médical sur notre commune. On espère que ça suffira
"Nous, on est demandeurs. Eux, ils sont à disposition. Mais ils peuvent choisir où ils veulent pratiquer. On essaie de se démarquer. On a passé un montant de 300'000 francs à l'assemblée communale. C'est le prix à payer pour garder un service médical sur notre commune. On espère que ça suffira."
Si la commune de Hauterive attend son nouveau cabinet de groupe avec impatience, dans la localité broyarde de Montagny les autorités craignent le pire. Depuis le printemps dernier, la commune fribourgeoise abrite un centre médical flambant neuf qui reste désespérément inoccupé et dans lequel la commune a déjà investi plus de 100'000 francs. Une situation qui désespère Anne Bersier, membre de l'Exécutif local.
On a trois salles de consultation, des ordinateurs, tout est là, mais il manque le médecin et le patient
"En l'état, on a trouvé des arrangements pour essayer de limiter la casse au niveau financier. Mais, il n'est toujours pas en fonction. On a trois salles de consultation, des ordinateurs, tout est là, mais il manque le médecin et le patient", déplore-t-elle dans La Matinale.
Les autorités de Montagny se donnent jusqu'à la fin de l'année pour trouver des médecins généralistes et sauver leur centre médical.
Les "cabinets fantômes", un phénomène connu
Interrogé jeudi dans La Matinale de la RTS sur la multiplication de ces "cabinets fantômes" qui restent vides dans les communes périphériques, le directeur de l'Institut de médecine de famille à l'Université de Fribourg et membre du comité directeur de la Société suisse de médecine interne générale Pierre-Yves Rodondi ne s'est pas montré surpris.
"C'est un phénomène qui est tout à fait connu. C'est tout à l'honneur des communes de fabriquer des murs, mais encore faut-il des gens à mettre dedans", a-t-il convenu. Il se dit cependant peu inquiet du risque de surenchère financière venant de médecins de plus en plus courtisés. "Je ne crois pas que ce soit la volonté des médecins de faire monter les enchères. La grande majorité n'ont pas envie de jouer avec ça", estime-t-il.
Revaloriser la profession
Pour résoudre le problème de pénurie, il faut former davantage, plaide Pierre-Yves Rodondi, qui salue le programme lancé par Alain Berset visant à porter à 1300 par année le nombre de diplômés en médecine. Mais encore faut-il ensuite les orienter vers la bonne direction, la médecine généraliste.
Là, il y a la méthode du bâton, "une voie que prennent plutôt les cantons romands actuellement", ou celle de la carotte. Il serait bénéfique, note le directeur de l'Institut de médecine de famille à l'Université de Fribourg, de revaloriser la profession en adoptant par exemple une nouvelle tarification de la médecine de famille, "qui est bloquée par l'OFSP depuis des années".
L'importance de la proximité
"C'est important de pouvoir offrir à la population la proximité. Quand on a un certain âge, certains problèmes de santé, on ne peut pas faire 50 kilomètres pour aller voir son médecin de famille", souligne aussi Pierre-Yves Rodondi.
C'est important d'offrir à la population la proximité. Quand on a un certain âge, certains problèmes de santé, on ne peut pas faire 50 km pour aller voir son médecin de famille
Pour lui, ouvrir grand les portes de la Suisse aux médecins formés dans d'autres pays ne doit être qu'une solution temporaire (voir en encadré). "On continue de piller les médecins à l'étranger. Il faut rappeler que 30% de nos médecins viennent déjà de l'étranger. Il suffit que la situation change au niveau international et on va se retrouver à ne plus avoir assez de médecins en Suisse", avertit-il.
Il pointe aussi le paradoxe de recaler deux tiers des étudiants en médecine en fin de première année pour des raisons de coût de la formation, pour ensuite aller chercher 30% de médecins à l'étranger. "On crée ainsi ces déserts médicaux aussi dans d'autres pays", déplore Pierre-Yves Rodondi.
Fabrice Gaudiano/fgn/vic
Assouplir les règles pour attirer davantage de médecins étrangers?
Une réforme a été mise en consultation en fin d'été par les autorités fédérales pour faciliter l'arrivée en Suisse de médecins étrangers. Elle veut lever l'obligation, pour les médecins étrangers, d'avoir exercé pendant 3 ans dans un hôpital suisse avant de pouvoir ouvrir un cabinet privé. Conçue pour garantir des soins de qualité, cette règle pensée avant tout pour les médecins suisses met hors-jeu depuis le 1er janvier 2022 une majorité de médecins étrangers.
La Fédération des médecins suisses (FMH) ne n'oppose pas à l'assouplissement des règles, mais sous conditions: "Les associations professionnelles demandent à être consultées, car ce sont elles qui sont à même d'apprécier si quelqu'un qui n'a pas travaillé 3 ans dans un hôpital reconnu pour la formation a quand même un cursus qui lui permet de travailler dans le milieu médical. Il faut aussi s'assurer qu'il a une bonne connaissance de l'organisation de la santé suisse. Mais c'est faisable", a estimé dans La Matinale Philippe Eggimann, membre du comité central de la FMH.
"Cette règle nous handicape vraiment dans le canton de Fribourg, mais la pénurie est nationale", a confirmé le Conseiller d'Etat fribourgeois en charge de la Santé Philippe Demierre vendredi au micro de la RTS. "Le but n'est pas de piller les médecins des pays étrangers, mais de donner la possibilité aux personnes qui désirent venir travailler en Suisse de pouvoir le faire", poursuit le ministre UDC.
Selon les informations de la RTS, une majorité de cantons se seraient déclarés favorables au recrutement facilité de généralistes à l'étranger.