Entre 300 et 400 Mégawatts: telle est l’estimation que l’Association suisse des data centers a confiée à la RTS pour l’ensemble de ses génératrices installées. "C’est à peu près l'équivalent d'un réacteur comme Beznau", précise son président Sergio Milesi. Cette puissance s’explique par le fait que les data centers, gros consommateurs de courant, sont également équipés de doubles redondances y compris pour leur approvisionnement électrique de secours.
Déjà opérationnels
Certains centres de données comme celui de Green à Lupfig (AG) sont déjà reliés et synchronisés au réseau électrique et capables d’y injecter du courant. "C’est un service-système que nous fournissons à Swissgrid, le gestionnaire du réseau qui peut activer lui-même à distance les génératrices. Tout est automatisé", explique son directeur général Roger Süess à la RTS. Au total, sur l’ensemble de ses data centers en Suisse, l’entreprise dispose à elle seule d’un parc de génératrices allant de 2 à 3,5 MW pour un total de 35 MW.
En Suisse, la plupart des grands data centers sont capables de synchroniser leurs machines sur la fréquence du réseau et d’y fournir leur production. "Certains autres nécessiteraient de s’équiper en conséquence, précise le président de l’Association suisse des data centers, mais c’est techniquement possible". Sergio Milesi indique que la branche dans son ensemble est favorable à cette contribution, sous certaines conditions qui sont actuellement en discussion avec la Confédération.
Levée de restrictions
Selon les normes actuelles, l’utilisation des génératrices de secours est limitée à cinquante heures par an en raison de leurs nuisances sonores. Il faudrait relever ce seuil, argumente Roger Süess, qui en appelle aussi à une exemption de la taxe CO2: "Si nous aidons comme cela à produire du courant en période de pénurie, il faudrait peut-être nous en dispenser", plaide-t-il, conscient que les émissions de CO2 des génératrices diesel représenteraient une lourde charge.
Concernant le prix auquel la branche consentirait à vendre ses kilowattheures, la réponse est unanime: à prix coûtant. "L’objectif est simplement de pouvoir couvrir les coûts: carburant, garantie de livraison, frais supplémentaires d’exploitation, pas de faire des bénéfices!", affirme Roger Süess. Pour lui, face à la pénurie, les data centers font partie de la solution, pas du problème: "C’est une opération gagnant-gagnant", résume Sergio Milesi, qui relève que les génératrices de secours représentent des millions de francs d’investissement qui dorment pratiquement toute l’année. Roger Süess abonde: "Le prix d’une génératrice, c’est un nombre à sept chiffres!"
Accord à bout touchant
Cette réserve de secours intéresse la Confédération. "Leurs groupes de secours sont modernes et remplissent généralement les normes environnementales", répond l’Office fédéral de l’énergie, qui parle de discussions positives. "Nous avons identifié quelques défis à surmonter pour assurer l’exploitation des groupes de secours - à savoir, leur intégration dans le réseau électrique ainsi que leur approvisionnement en carburant".
La branche s’attend à voir les conditions de mise en œuvre réglées dans une ordonnance "d’ici deux à trois semaines" pour consultation. Cette capacité de production s’ajoute à la première réserve de secours déjà mise sur pied par la Confédération. C’est à quelques centaines de mètres du data center de Lupfig, à Birr (AG), que cette réserve vient d’être conclue jusqu’en 2026 avec l’entreprise américaine General Electric. Un contrat de location de huit turbines tricombustibles fonctionnant au diesel, au gaz ou à l'hydrogène pour une puissance totale de 250 MW a été signé. Objectif: pallier la potentielle pénurie de courant redoutée dès février 2023.
Polluant mais transitoire
Ce recours aux énergies fossiles pourrait être très utile cet hiver, mais il n’enchante pas pour autant le directeur général de Green. "Si on regarde ce que la Suisse innovante offre comme possibilités dans l'hydraulique, l'éolien, le solaire, ou avec les Ecoles polytechniques sur les nouvelles sources d'énergie, j'espère bien que c'est avec ça que nous trouverons les solutions d’avenir, sans devoir encore nous tourner vers ces génératrices", répond Roger Süess.
Même credo au sein de l’association: "Nous regardons de près les nouvelles technologies concernant l’électricité, qui est un facteur très important pour notre branche. Et je pense que l’hydrogène va jouer un rôle central dans ce secteur, y compris pour le stockage de l’électricité", conclut Sergio Milesi. En attendant, si l’hiver est froid et sec, s’il ne voit pas le retour rapide de la puissance électrique nucléaire française, il risque bien de plomber le bilan CO2 de la Suisse.
Pascal Jeannerat