Le 16 octobre, une poignée de jeunes hommes cagoulés, fumigènes à la main, débarquent à la Tanzhaus de Zurich et interrompent un événement de lecture pour les familles animé par des drag-queens. Ces lectures sont pourtant organisées sans problème depuis quatre ans par la communauté LGBT de la ville.
Quelques jours après ce coup d'éclat, deux membres du groupuscule d'extrême droite Junge Tat - "Jeunes action" en français - revendiquent l'opération dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. Fait inhabituel pour la droite radicale, ils se montrent à visage découvert: "Nous, Junge Tat, nous engageons pour une famille saine et intacte", affirme l'un d'entre eux.
A l'instigation du député communal écologiste Dominik Waser, l'ensemble des partis, à l'exception de l'UDC, ont signé une déclaration commune condamnant l'attaque. "Ces groupes d'extrême droite, ces néonazis, cherchent clairement à intimider. Et nous devons dire qui ils sont et le danger qu'ils représentent pour la population et notre démocratie", affirme Dominik Waser.
Une quête de dédiabolisation
Junge Tat serait constitué d'un noyau de 10 à 20 membres permanents, suivis en ligne par plus de 6000 personnes. Depuis sa fondation début 2020, ce groupe multiplie les interventions publiques. Ses visuels sont accrocheurs, dénués de toute référence idéologique explicite. Issu de la mouvance néonazie, il veut aujourd'hui s'en démarquer, en tout cas sur la forme, analyse le journaliste d'investigation Kurt Pelda.
"Ils ont réalisé qu'avec cette idéologie, on ne peut pas vraiment recruter des jeunes gens, surtout en Suisse", explique ce grand connaisseur des mouvements d'extrême droite. "C'est autre chose en Allemagne ou en France. Mais ici, c'est presque impossible de recruter des gens comme néonazis. Ils ont donc changé leur image et se présentent maintenant comme identitaires", précise Kurt Pelda.
Un extrémisme de droite qui inquiète
Dans son rapport annuel 2022 publié cet été, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) constate que les groupes d'extrême droite cherchent désormais davantage à investir l'espace public, ce qui leur permet d'attirer de nouvelles recrues. "Un certain nombre d'extrémistes de droite violents craignent désormais moins d'être dénoncés et de subir des conséquences personnelles (...)", explique le SRC.
Ce phénomène inquiète le renseignement helvétique. "Sur la base de ces constatations, il apparaît que la situation en matière d'extrémisme de droite violent s'est dégradée depuis 2020. Il faut en particulier s'attendre à ce que l'augmentation des actes de violence se poursuive, en lien surtout avec des affrontements entre extrémistes de droite et de gauche violents", peut-on lire dans le rapport.
Enquête en cours
Cette nouvelle ultra droite qui se montre au grand jour existe aussi dans les pays voisins, mais la Suisse a tendance à sous-estimer la présence de ces groupes sur son territoire, affirme Damir Skenderovic, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Fribourg. "En Suisse, il y a premièrement un manque de sensibilité par rapport à l'extrémisme de droite. Deuxièmement, il y a une sorte de déni de l'histoire de l'extrémisme de droite", estime ce spécialiste de la question.
A Zurich, la Tanzhaus a déposé une plainte auprès de la police à la suite de l'action de Junge Tat. Le Ministère public a ouvert une enquête, notamment pour soupçons d'incitation à la haine.
Séverine Ambrus/dk