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La récolte rémunérée de signatures, un business peu contrôlé et qui rapporte

La récolte rémunérée de signatures pour les initiatives populaires est un véritable business qui peut engendrer des dérives. Enquête
La récolte rémunérée de signatures pour les initiatives populaires est un véritable business qui peut engendrer des dérives. Enquête / 19h30 / 3 min. / le 10 novembre 2022
La récolte rémunérée de signatures pour les initiatives populaires est un business qui rapporte. En Suisse romande, deux entreprises tiennent ce marché très peu contrôlé. Deux ans et demi après les révélations faites par Mise au Point sur l’existence de ce milieu et de ses dérives, rien ou presque n’a bougé.

Une équipe du 19h30 de la RTS a rouvert l'enquête de Mise au Point, au coeur de Lausanne, la capitale vaudoise. Presque tous les jours, une dizaine de jeunes, avec en mains trois ou quatre initiatives populaires différentes à faire signer aux Lausannoises et Lausannois, s'activent dans les ruelles passantes.

>> Revoir d'abord l'enquête de Mise au Point du 2 février 2020 : Récolte rémunérée de signatures: des pratiques trompeuses dévoilées

Parmi les 25 textes actuellement en cours de récolte de signatures, l’un retient l’attention. Lancée par des élus UDC, l’initiative dite "La nuit porte conseil" vise à imposer un délai de réflexion de vingt-quatre heures avant tout avortement. Une passante a été choquée par la façon dont on lui a présenté ce texte.

"La première chose qu’il m’a dite, c’était, en substance, que le texte visait à faciliter l’accès à l’avortement. J’ai trouvé ça bizarre, j’ai donc demandé de lire le texte de loi qui accompagnait la récolte de signatures. Là, je me suis rendue compte que ce n'était pas du tout le cas", raconte Emilie Savioz au micro du 19h30.

>> Lire aussi : Deux initiatives limitant l'avortement lancées par des conseillères nationales UDC

Pour comprendre les dérives dans ces procédés de récolte de signatures, déjà dénoncées par l’émission Mise au Point il y a deux ans, l'équipe du 19h30 a poursuivi son enquête en approchant les deux acteurs qui se partagent ce marché en Suisse romande.

Vox Communication

L’entreprise Vox Communication est la première à avoir accepté de recevoir les journalistes de la RTS. A sa tête, son fondateur, un Français de 27 ans, Jérôme Campese. Sa société emploie une quinzaine de personnes, payées au paraphe et formée par ses soins.

"En une heure et demie, j’ai largement le temps de vous former sur les quatre initiatives, de vous former sur les questions auxquelles vous allez être soumis et comment remplir le formulaire", explique l'entrepreneur. L’argumentaire de ses employés n'a pas pu être entendu dans l'enquête. Les comités en charge des initiatives en cours de récolte s’y seraient opposés, selon le patron de Vox.

Fraîchement débarqué de France quelques jours auparavant, Florent Pernet, un récolteur, a tout de même répondu aux questions de la RTS. Il assure ne pas être tenté de mentir en raison de son salaire à la signature: "C’est 1,50 à 3 francs. Une journée normale, c’est environ une centaine de signatures, ça vaut la peine. On a quatre initiatives, il y en a deux que je n'aime pas forcément, donc, simplement, je ne les utilise pas".

"Salaires horaires" chez Incop?

Quelques jours plus tard, la porte jusque-là close d’Incop, l’autre acteur de ce marché, s’ouvre aussi à l'équipe du 19h30. Créée il y a 10 ans, cette association aime la discrétion. Sur le terrain, certains de ses collaborateurs ont menti aux journalistes de la RTS en prétendant travailler pour Vox ou être indépendants.

Le fondateur et président d'Incop Franck Tessemo conteste le leur avoir demandé et s’offusque quand l'équipe du 19h30 lui parle de "vérité déformée" pour récolter des paraphes. "Nous nous battons contre cela. Face à ce phénomène, nous mettons en place des salaires horaires pour l'éviter", se défend-il.

Le collaborateur que l'équipe de la RTS a été autorisée à suivre (par le président d'Incop) en pleine récolte pour l’initiative du lobby nucléaire "Stop au Blackout" est pourtant bel et bien payé à la signature. Et il reste plutôt flou quand des passants lui posent des questions sur le comité à l’origine du texte. "C’est une initiative des Verts ou des jeunes Verts?", lance un passant. "Non, c’est des personnes de divers partis et des ingénieurs de SuisseEnergie", répond le récolteur.

Motion nationale rejetée

Outré par ces pratiques, le conseiller national socialiste Baptiste Hurni a tenté en vain de les faire interdire au niveau national. Son texte a été rejeté il y a un an. "Le Conseil fédéral, dans sa réponse à ma motion, disait: il n’y a pas de problème structurel", une réponse qui a déçu le Neuchâtelois.

>> Lire à ce sujet : Les députés neuchâtelois veulent amender la récolte rémunérée de signatures

Le conseiller national se réjouit toutefois que la pratique ait été interdite dans le canton de Neuchâtel, et qu’elle soit mieux encadrée à Genève. Il espère que le canton de Vaud leur emboîtera le pas, même si toutes les tentatives de régulation y ont pour l’heure échoué.

>> Lire aussi : Les Verts vaudois veulent interdire toute récolte rémunérée de signatures et Les Verts valaisans contestent la réglementation sur la récolte de signatures

>> Ou encore: Les Verts valaisans contestent la réglementation sur la récolte de signatures

Sujet TV: Carole Pantet

Adaptation web: Julien Furrer

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