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En Suisse, 700'000 personnes touchées par de lʹeau contenant des résidus du chlorothalonil

La molécule du pesticide chlorothalonil. [Depositphotos - Wirestock]
700'000 Suisses touchés par de lʹeau contenant des résidus de chlorothalonil / On en parle / 12 min. / le 17 novembre 2022
C’est ce qui ressort d’un rapport publié en septembre dans le cadre du Protocole international "Eau et Santé". Pour la première fois, des données ont été récoltées sur les produits phytosanitaires et leurs produits de dégradation, les métabolites, présents dans l’eau.

Le rapport de 57 pages conclut que la qualité de l’eau potable varie de "assez bonne" à "très bonne" selon les paramètres examinés. Il indique toutefois que certains résidus de pesticides sont fréquemment détectés, notamment dans les petits et moyens cours d’eau, ce qui est inquiétant.

C'est le cas du chlorothalonil, produit phytosanitaire dont l'utilisation a été interdite en Suisse le 1er janvier 2020, mais l’un de ses fabricants, Syngenta, conteste sa dangerosité et a déposé un recours au Tribunal administratif fédéral. Deux ans et demi plus tard, la décision judiciaire se fait toujours attendre.

Dans l’intervalle, On en parle a découvert de nouveaux chiffres. Ils proviennent d’un rapport publié par la Confédération en septembre 2022, dans le cadre du "Protocole Eau et Santé", un accord international sous l’égide des Nations unies et de l'Organisation mondiale de la santé, qui engage la Suisse en matière de développement durable.

Pour la première fois, des données ont été collectées sur les produits phytosanitaires et leurs métabolites entre 2019 et 2021. Pour rappel, un métabolite est une particule résiduelle des pesticides appliqués sur les cultures. En pénétrant le sol, ces métabolites se retrouvent dans l’eau. Il ressort du rapport qu'en Suisse, selon les estimations des cantons, 700'000 personnes sont exposées chaque année à de l'eau dépassant la valeur de 0,1 microgramme par litre pour le métabolite R471 811, un résidu du chlorothalonil particulièrement persistant.  Cela représente environ 11% des résidents des 18 cantons qui ont transmis des résultats de mesures à la Confédération.

Le Plateau suisse le plus touché

En actionnant la loi sur la transparence, On en parle a obtenu le détail des chiffres pour chaque canton. Sans surprise, le Plateau suisse et les régions agricoles du pays sont les plus concernés. Les dépassements plus importants sont dans les cantons de Soleure et de Schaffhouse, avec presque une personne sur deux qui boit de l’eau contenant le métabolite R471 811.

En Suisse romande, Vaud, Berne et Fribourg enregistrent les valeurs les plus élevées: dans le canton de Vaud, 115'000 personnes (14% de sa population) sont concernées, à Berne 107'000 personnes (10%) et à Fribourg 55'000 personnes (17%). En revanche, aucun dépassement n'est relevé à Genève, Neuchâtel et en Valais.

Une vue d'ensemble lacunaire

À la lecture du rapport, on constate que seuls 18 cantons sur 26 ont communiqué leurs mesures. En Suisse romande, le canton du Jura manque à l’appel. Contacté par On en parle, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire confirme que les données sont incomplètes. L’OSAV ignore si les mesures ont été effectuées ou si elles ne lui ont simplement pas été transmises car cela n’était pas obligatoire.

Interrogée par On en parle, la chimiste cantonale du canton du Jura Linda Bapst répond: "Contrairement à nos voisins romands, nous n’effectuons pas pour l’heure de contrôle officiel concernant les micropolluants pour l’eau potable, nous nous limitons à des pointages précis lorsque cela s’avère nécessaire. Actuellement, la surveillance fréquente de chaque réseau et source effectuée par les distributeurs dans le cadre de l’autocontrôle a toujours permis de garder la maîtrise concernant la présence des métabolites du chlorothalonil et de mener les actions correctives pour garantir le respect des normes légales."

Elle ajoute qu’en 2022, les régions jurassiennes sous surveillance n’ont détecté aucun dépassement des normes légales dans le réseau de distribution.

>> À regarder: Pollution au chlorothalonil, es explications de Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l'UNIL dans le 19h30 :

Pollution au chlorothalonil : les explications de Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l'UNIL
Pollution au chlorothalonil : les explications de Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l'UNIL / 19h30 / 3 min. / le 23 mars 2022

Impossible d'exiger des mesures

Intervenant dans l'émission On en parle, le chimiste cantonal fribourgeois Xavier Guillaume se veut rassurant et confirme que l’eau potable peut être bue sans inquiétude. Il rappelle aussi que la valeur limite de 0,1 microgramme par litre a été fixée selon le principe de précaution par la Confédération. "Dans le canton de Fribourg, nous avons fait des mesures très extensives des ressources en eau potable par rapport à la présence de ces produits de dégradation du chlorothalonil […] Sur la base des connaissances dont nous disposons, il n’y a pas de risque particulier pour la consommation de l’eau du robinet en Suisse avec les concentrations actuelles."

En cas de dépassement de la valeur limite d’un métabolite, l’autorité de contrôle peut-elle exiger du distributeur du pesticide qu'il prenne des mesures immédiates? "Cela n’est actuellement pas possible, répond Xavier Guillaume, du fait du recours de Syngenta. Nous avons ordonné des mesures lors des premières analyses en 2020, mais en attente du jugement, nous avons reçu l’indication que la valeur maximale de ce métabolite était actuellement en suspens et que nous ne pouvions plus exiger d'assainissements des réseaux de distribution d’eau pour ce métabolite."

Sujet radio: Bastien Von Wyss et Isabelle Fiaux

Adaptation web: Myriam Semaani

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