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La schizophrénie, la vie dans une réalité altérée entre fascination et peur

Environ 1% de la population vit avec la schizophrénie. Un trouble mental dont le diagnostic résonne encore aujourd’hui - à tort - comme une condamnation. Témoignages et explications dans le nouvel épisode du podcast Dingue.

À 46 ans, Blaise Rochat, infirmier en psychiatrie et enseignant en HES fait une expérience étrange: "Vers 9h je vais prendre ma pause et tout à coup, je m’aperçois que ma pensée arrive en deux temps: elle apparaît au-dessus de ma tête et ensuite elle vient à l’endroit habituel. Ça fait comme un écho. Puis cette pensée se transforme en une voix, avec laquelle je me mets à discuter".

Rapidement, ces voix vont être de plus en plus nombreuses, agressantes et envahissantes, des centaines de voix: "Jacques Dutronc, insupportable; Federer très sympa", commente-t-il aujourd’hui. Cette "possession" va durer 4 ans.  On parle de schizophrénie lorsque cette vie dans une réalité altérée dure au moins 6 mois précise Philippe Conus, chef du service de psychiatrie générale au CHUV et spécialiste de l'intervention précoce dans les troubles psychotiques. En fait "la schizophrénie est une forme durable de psychose".

>> Ecouter l'épisode du podcast "Dingue" :

Podcast Dingue. [RTS]RTS
La schizophrénie, vivre dans une réalité altérée / Dingue / 32 min. / le 14 novembre 2022

Hallucination, délire et désorganisation de la pensée

La psychose se définit selon trois axes. L’hallucination: avoir des perceptions que les autres n’ont pas. Le délire: croire à des choses auxquelles les autres ne croient pas. Et la désorganisation de la pensée, consécutive aux hallucinations et aux délires.

Philippe Conus pense qu’il est faux de croire qu’il y a une rupture totale entre les personnes vivant dans une réalité altérée et le commun des mortels. "On peut avoir toutes sortes de variances de la perception de la réalité selon l’état dans lequel on se trouve; par exemple, si on marche seul la nuit dans la forêt, on va interpréter un craquement de branche comme une présence à notre poursuite. En journée ce ne serait pas pareil ".

Le difficile processus de reconstruction

Schématiquement, Philippe Conus estime – suite à différentes études – qu’après une prise en charge adaptée, un tiers des personnes ayant fait l’expérience de la schizophrénie guérissent, un tiers se stabilisent avec l’aide des soignants et un tiers ont besoin de vivre dans un milieu protégé.

Blaise Rochat fait partie du premier tiers: après 4 ans, les voix se sont tues. Mais ensuite, il faut se reconstruire, et ce processus a également pris environ 4 ans, le temps de se faire à nouveau accepter par ses proches et de s’accepter lui-même. Ce processus est rendu encore plus compliqué depuis l’avènement des réseaux sociaux: "on peut délirer sur Facebook, sur Twitter, il n’y a pas de problème", sourit-il aujourd’hui. "Ce que je fais actuellement, je n’aurais pas pu le faire si je n’avais pas eu cette expérience. Par exemple, je suis membre de la commission d’éthique du réseau fribourgeois de santé mentale, j’ai aussi une activité d’assesseur auprès de la Justice de paix; des activités qui me permettent de défendre et faire connaître les difficultés des personnes qui ont des troubles psychiques".

Philippe Conus sait aussi voir, au-delà de la souffrance, des aspects positifs à la schizophrénie: "je comprends le délire comme une sorte de métaphore, une mise en forme inventive du stress vécu. Probablement que les patients atteints de schizophrénie ont une sensibilité au-delà de la norme".

Adrien Zerbini

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