Une nouvelle ordonnance fédérale pourrait aggraver les pénuries de médecins en Suisse
Le texte, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2023, sert de base aux cantons pour fixer le nombre maximum de médecins par spécialité. Depuis la dernière révision de la LAMal en 2020, les cantons sont en effet dans l'obligation de fixer un plafond pour les cabinets de médecine ambulatoire.
Pour déterminer ce chiffre, ils se basent sur les taux de couverture par spécialité calculé dans cette ordonnance. Problème: la méthode de calcul a changé. Au lieu de prendre le nombre de médecins par habitant, c'est désormais le volume de prestation qui fait foi.
Pour l'Office fédéral de la Santé publique, cette mesure vise à éviter une offre médicale excédentaire dans le secteur ambulatoire et à freiner la hausse des coûts.
Des pénuries possibles
Pour la Fédération des médecins suisse, cette nouvelle méthode déforme la réalité et incite les cantons à limiter le nombre de médecins, même lorsque cela n'est pas nécessaire.
A titre d'exemple, le canton de Fribourg disposerait selon ce nouveau calcul d'une couverture de 100% en termes de médecins de famille. Pourtant, selon une enquête de la Fédération romande des consommateurs publiée en 2021, il faut en moyenne 30 appels pour obtenir un premier rendez-vous dans le canton.
Pour les associations de la branche, la pénurie de médecins de familles pourrait donc être accentuée, si cette méthode de calcul est maintenue.
Autre situation à Zurich où, selon le nouveau calcul, la couverture atteindrait 111% en pédiatrie. Or, selon un communiqué de l'association des médecins de famille et de l'enfance, "les temps d'attente dans les services d'urgence des hôpitaux pour enfants ne cessent d'augmenter et il est difficile de trouver un pédiatre". L'association juge que les chiffres sont donc tout simplement "faux".
"On va aggraver les coûts de la santé"
Invité de La Matinale mardi pour évoquer les conséquences de cette ordonnance, Pierre-Yves Redondi a aussi confirmé que ces nouvelles règles "ne correspondent pas à la réalité."
Celui qui est directeur de l'Institut de médecine de famille de l'UNIFR juge que, pour reprendre l'exemple de Fribourg, le canton est déjà en pénurie depuis des années. "En 2017, l'Observatoire de la santé disait déjà que Fribourg était avant-dernier en terme de médecins de famille".
Le spécialiste s'étonne de cette nouvelle méthode de calcul, qui ferait disparaître ce problème d'un coup de baguette magique: "On arrive tout à coup à un taux optimal, on a réglé la pénurie", ironise-t-il.
D'après lui, cette situation s'explique car il existe en Suisse un "grand problème de chiffres" concernant le secteur. "Il faut connaître le nombre de médecins, le taux de travail, mais on a des données lacunaires, qui nécessitent un immense travail. Ici, on a changé la méthodologie en se basant sur d'autres chiffres, à savoir le volume de prestation", précise-t-il.
Pour le spécialiste, c'est pourtant un nombre de médecins de famille adapté au besoin qui pourrait faire baisser les coûts de la santé. "Si on a suffisamment de médecins de famille, on va diminuer les coûts, les hospitalisations et le recours aux urgences. Le canton de Fribourg a l'un des records de recours aux urgences, et ce n'est pas un hasard", rappelle-t-il.
"Cela me donne l'impression qu'on a a un altimètre mal calibré et puis qu'on nous dit, 'montez dans l'avion, on verra bien ce qu'il se passe'" conclut-il.
L'OFSP rassurante
L'OFSP assure toutefois que la nouvelle méthode de calcul n'est pas contraignante. Les taux de couverture par spécialité figurant dans l'ordonnance seraient en fait indicatifs.
Ils doivent permettre aux cantons de faire des comparaisons interrégionales. Selon l'OFSP, l'ordonnance ne peut définir si un canton a trop ou pas assez de médecins dans un domaine, cela reste de la compétence exclusive des cantons.
Mohamed Musadak